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Musique

Toutes ces vies dans une seule!

Survivant de Galaad, déserteur (provisoire) de L’Escouade, Pierre-Yves Theurillat remonte au front avec un album signé Pyt. Entre exorcisme et rédemption

Ancien chanteur de Galaad, Pierre-Yves Theurillat revient en force avec «Carnet d’un visage de pluie». Rolf Perreten-LDD

Pierre-Alain Brenzikofer

Quelle vie, aimaient à s’exclamer nos grands-mères. Modestement, elles utilisaient ce singulier exprimant toutes leurs peines et leurs fulgurances. Pour Pierre-Yves Theurillat, on se permettra de recourir au pluriel. Oui, quelles vies! De Galaad, groupe majeur du prog – d’accord, un qualificatif réducteur –, à Pyt, que d’aléas. Ceux du rock. Ceux de la vie. Quelque part entre la fiction et l’azur.
Et ce questionnement, forcément lancinant: pourquoi Galaad, gang prévôtois célébré aussi bien par Rock & Folk que Best, s’est-il brûlé les ailes, tel Icare, fin 1996, alors que la planète rock s’ouvrait enfin à eux, petits provinciaux – nos excuses à Maxime Zuber – à peine sortis des limbes?
Galaad, fils de Lancelot, seul autorisé à quêter le Graal parce que papa avait péché avec Guenièvre. Dans ce Moyen Age certes aujourd’hui caricaturé et dénaturé, on ne plaisantait déjà pas avec la morale. Celle des autres bien sûr. Ratzinger, décidément, n’a rien inventé.
Bon, au sein de Galaad, il y avait la vie en rock. Mais aussi celle en groupe et bientôt en famille. Adieu le Graal, bienvenue dans le monde réel.
Pour Pierre-Yves Theurillat, son chanteur, ce retour à la vie tout court allait se solder par d’autres aventures, d’autres sentiers escarpés, peuplés à la fois de roses et de larmes. D’étapes exceptionnelles avec L’Escouade et ces sublimes «Confidences de mouches» dont il reste quelques exemplaires chez Disques Office. Et, soudain, ce «Carnet d’un visage de pluie» qui aurait dû être labellisé Galaad et qui n’est finalement «que» Pyt. Parce que le rock n’a jamais été un fleuve tranquille. Est-ce pour ça que nous l’aimons tant?

La vie et rien d’autre
Auteur inspiré, Theurillat est accessoirement devenu animateur du site internet du JdJ. Bienvenue dans la vie réelle, professionnelle, alimentaire. Celle qui occulte un brin les rêves de gloire et de reconnaissance? Pas sûr...
Parce, justement, tout n’est qu’un perpétuel recommencement, l’envie, lancinante, s’est manifestée: relancer Galaad. Las, quelques solides années plus tard, certains héros étaient fatigués. Etablis. Père de familles. Exit Galaad II, bonjour Pyt. Avec l’aide, toutefois, du vieux complice originel Sébastien Froidevaux, tout à la fois responsable des musiques, des claviers et des guitares, voire bien plus. Alors, pourquoi pas Pyt et Seb? «Tout simplement parce que dans ce projet, il gère l’ombre et moi la lumière», répond Theutheu en accordant à la dimension lumineuse le simple fait de porter l’album.
Façon de mettre L’Escouade entre parenthèse. Parce que là, aussi, la vie a ses raisons alimentaires et professionnelles que la raison du rock ne peut pas connaître.
A l’écoute du Pyt nouveau, comment ne pas se demander s’il y aura une suite? Eh bien, répond l’interpellé, tout dépendra de l’accueil. Mais, assure-t-il, même s’il avoue avoir perdu toutes ces clés USB contenant quelques solides bribes de romans et une maousse pincée de textes inspirés, le matos musical existe néanmoins pour trois ou autre disques. De là à atteindre les 7000 ventes de Galaad à une époque où plus personne ne prend la peine d’acquérir un CD, «God only knows», comme le chantaient les Beach Boys, les plus christiques des athées.
«A 42 ans, les ambitions sont authentiquement revenues au galop, jure Theutheu. Mais elles prennent une autre forme. Ne serait-ce que parce que n’ai hélas plus le look d’un gars de 26 ans. Oui, je sens malgré tout un bon vent souffler. Mais je reste réaliste. J’ai désormais un job. Seb, quant à lui, est un éducateur pointu, marié et père de trois enfants. En s’investissant à fond dans ce projet, il a même mis son mariage en péril.»
It’s only rock and roll? Of course, mais... Les textes, dans tout ça? A la fois azuréens et intimistes. Non, on n’utilisera pas profonds!

Une fin symbolique
Côté inspiration, Theutheu avoue avoir connu plusieurs vies dans une seule: «Dans ce disque, j’évoque moult épisodes de mes existences antérieures. Certains ont connu une fin, d’autres m’ont modelé. Alors, je m’efforce de donner une conclusion symbolique à certaines époques dans mes chansons. Ainsi, ‹Veuillez quitter céans› est assez noir et écorché. Est-ce pour cette raison qu’il représente le morceau le plus hard du disque? A l’époque, je me débattais dans une période douloureuse, pénible, asociale. Je clamais mon dégoût du monde. Mais, souvent, je livre dans mes textes une fin symbolique à une époque de mon existence, fin qui s’est déjà produite il y a longtemps.»
Dans «Tôt ou tard», par contre, ce médiéviste impénitent assouvit sa quête du divin en clamant paradoxalement son ambition de partager l’amour et l’amitié.
Et, ô surprise, sur onze titres, quatre sont en anglais. Parce que l’anglais est la langue du rock, bien sûr. Et que de là viennent toutes ses influences.
«Un des titres british, ‹My little death›, a été écrit par ma première copine. Elle avait 22 ans, moi 17. Elle revenait d’une période de cinq ans de squat à Londres, j’étais un petit jeune de Moutier...»
A part ça, il admet que les influences musicales sont celles de Seb Froidevaux. Tout en avouant que s’il avait trouvé un complice étiqueté Prodigy, cela aurait aussi pu faire l’affaire. La preuve? Le disque de L’Escouade sonne totalement différemment.
«Le Seb, s’enthousiasme-t-il, je le connais depuis l’âge de sept ans. Nos premières branlettes. Nos premiers camps chez les Cœurs Vaillants. Et puis, c’est un membre fondateur de Galaad. Bon, il est plutôt Genesis. Moi, c’est d’abord Marillion.»
A ce stade du récit, une requête, presque une incantation: «Surtout, ne pas parler de rock progressif en ce qui nous concerne! Le prog est un repoussoir, un ghetto C’est plutôt un esprit qu’une mouvance.»
Un peu comme le punk, finalement, qui n’a jamais été un genre en soi. Alors, on parlera de rock tout court. Avec une pincée de songwriting. Et surtout une guitare omniprésente. Façon Hackett de chez Genesis & Fils. Et de Brézovar de la (bonne) maison Ange.

L’anglais libérateur
Comme déjà borborigmé, l’anglais est présent. Parce que dans la maison Theurillat, on s’est rendu compte qu’on attribue au français des qualités qui commençaient sérieusement à coller aux baskets de l’auteur.
«Chanter en anglais est franchement devenu libérateur. Je n’ai plus à assumer ce statut de songwriter. Je puis devenir plus léger. Pourtant, je me suis donné une sacrée peine. Dans cette langue, je me suis efforcé d’amener une histoire, un décor, une odeur, une vision. Et surtout une sonorité.»
Ah! la langue du rock. Une quête nouvelle qui l’a quand même poussé à dépasser le stade de «Be bop a lula». L’immense majorité des rockers anglophones, on le sait, n’ont jamais donné dans la philosophie ou le subliminal.
«Pour moi, Fish, l’ancien chanteur de Marillion, demeure une idole. Je n’ai jamais cherché à décrypter vraiment ses écrits. Mais je sais et je sens qu’ils revêtent une sacrée dimension intimiste...»
Reste à lui demander si le CD a un avenir. «Peut-être pas. Mais l’objet CD, oui. Nous vivons actuellement une période de dématérialisation où tout devient volatil. Le CD, au moins, demeure un vrai média. Un élément central entre le créateur et le récepteur. La nouvelle génération l’ignore, hélas. Moi, j’ai déjà dû faire mon deuil du vinyle qui constituait une œuvre d’art par excellence. J’ai bien dû me rabattre sur le CD. Aujourd’hui, malheureusement, tout va toujours plus vite. Une réalité qui s’installe au détriment des artistes, des décors qu’ils donnent à leur vie et qui font rêver les kids.»
Est-ce pour cette raison que Pierre-Yves Theurillat a adoré le disque des Edmond Jefferson and Sons, magnifiés par notre amie Josette Seydoux? «Ces kids ont sorti un vinyle picture disk à 150 exemplaires. Un summum où l’art se retrouve.»

Même combat
On vous quitte là pour (ré)écouter en boucle «Carnet d’un visage de pluie». Et puis, parce qu’on n’est plus à un effet de manche près, qu’on nous permette de rebaptiser Theurillat Pyt Townshend.
Allusion au génie des Who qui, à son image, est un quêteur perpétuel, adepte de cette magnifique évidence voulant que ceux qui cherchent sont mille fois plus honnêtes que ceux qui croient savoir ou avoir trouvé. Pique ultime à nos amis chrétiens et politiciens, donc.
Mais ceci est une autre histoire...

Long live Pyt

5 AVRIL vernissage de l’album au Pantographe de Moutier. Showcase d’une demi-heure avec vente du disque, dédicaces, apéro et tout le tralala. «Et un appel aux gens de Moutier: qu’ils viennent soutenir un groupe talentueux bien de chez eux!»
13 juin participation (deux morceaux) à Tramelan à la célébration des 150 ans du Journal du Jura, la veille de l’ouverture de la Fête cantonale des yodleurs. «Il y aura des yodleurs en première partie», rigole Theutheu.
18 au 21 juin résidence au SAS de Delémont avec concert final le 21, scénographie léchée et tout et tout.
Octobre  (jour à confirmer): concert au Royal de Tavannes. Le chalet de Marcello Previtali.

Le disque

«Carnet d’un visage de pluie», de Pyt. Sera disponible dès le 24 mars en téléchargement (i-Tunes), tout comme il est déjà en vente sur le site internet de Pyt: www.pyt.cn.com. On peut aussi obtenir cet album à la librairie Point Virgule, dans cette bonne ville de Moutier.

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