Vous êtes ici

Abo

Peter H. Kneubühl

"Un acte politique"

Emprisonné depuis sept ans, l’ancien «forcené de Bienne» évoque ses grèves de la faim.

Photo Lino Schaeren

Peter Staub (Traduction Marcel Gasser)

Il y a sept ans, Peter Hans Kneubühl avait tenu en haleine toute la région de Bienne. Après avoir tiré sur un policier dans le quartier des Tilleuls, le blessant grièvement, alors que la police tentait de le déloger de sa maison où il s’était barricadé, il avait réussi à s’enfuir, se lançant dans une cavale de presque 10 jours, avant d’être arrêté. Dans le procès qui a suivi, les juges l’avaient déclaré irresponsable et avaient ordonné une mesure thérapeutique stationnaire. Peter K., aujourd’hui âgé de 74 ans, répond à nos questions, s’explique sur les raisons qui l’ont poussé à entamer plusieurs grèves de la faim et comment on lui a administré des psychotropes.

Peter Hans Kneubühl, comment allez-vous aujourd’hui, mentalement et physiquement?
Je vais relativement bien.

Vous avez entamé coup sur coup deux grèves de la faim. Est-ce que vous vous en êtes bien remis?
En fait, j’en ai même fait trois. Je me suis bien rétabli. Je sens que j’ai pris de l’âge. Une grève de la faim, c’est un stress. Mais étonnamment, c’est bien allé.

La première fois, lorsqu’on vous avait déplacé dans l’établissement de Deitingen, vous avez refusé d’être alimenté de force.
A cette époque, j’ai été transféré à l’hôpital pour des raisons médicales, parce que je souffrais de fibrillation auriculaire. Et 10jours après, on m’a ramené à Thoune.

Par la suite, un autre conflit vous a opposé à l’Office de l’exécution judiciaire (OEJ) après votre transfert à l’établissement pénitentiaire de Thorberg.  
L’OEJ avait annoncé son intention de me déplacer, mais n’a pas trouvé de place pour moi. Même Deitingen était une solution de dépannage. A la clinique Rheinau, dans le canton de Zurich, il n’y avait pas de place non plus. C’est alors que l’OEJ a reçu de la prison de Thorberg son accord de me prendre en charge. Mais pas dans l’unité psychiatrique, puisque celle-ci avait été fermée par le nouveau directeur. Je me suis opposé à ce transfert.

Pourquoi cette opposition?

Je me trouvais dans une situation où je n’acceptais ni le jugement, ni la peine. C’est la raison pour laquelle j’ai exigé de rester en détention provisoire jusqu’à ce que mon cas soit correctement examiné.
Vous avez épuisé toutes les voies de recours contre votre jugement.
Oui, en principe je n’ai plus de voie de recours. Mais quand un jugement est erroné, alors on doit se battre contre l’injustice, dans la presse, dans les milieux politiques. Dans ce sens, un procès n’est jamais définitivement bouclé.

Pour vous, était-ce alors une lutte symbolique?
Oui. Ici, en quelque sorte, je suis toujours en détention préventive, tandis qu’à Thorberg je serais sous le régime de l’exécution de la peine.

Mais vous êtes déjà sous le régime de l’exécution de la peine.
Eh bien ça, je ne sais pas. Ici, il y a des gens qui exécutent leur peine et d’autres qui sont en détention préventive. Je veux savoir quel est mon statut exact.

A quoi passez-vous l’essentiel de vos journées?
Je suis enfermé 23 heures sur 24. Je travaille en permanence à ma défense, j’écris beaucoup.

A qui écrivez-vous?
Ce sont des lettres adressées aux autorités. Parfois, je réponds à des lettres qui me sont adressées par des privés. Il faut savoir que je suis encore violemment pris à partie par les autorités.

Pourquoi? Vous vous trouvez dans un régime d’exécution des peines tout à fait régulier.
Il y a la question de l’exécution de la peine et celle de savoir si je suis interné ou si je suis relégué dans une sorte de prison psychiatrique. Pour l’instant, l’OEJ est en train de mettre à exécution le verdict existant, à savoir la mesure thérapeutique stationnaire.

Votre état est régulièrement contrôlé, afin d’établir si une mesure thérapeutique stationnaire continue de s’imposer.
Alors pour moi cela ne signifie rien d’autre qu’une condamnation à vie. Car je campe sur mes positions.

Revenons à votre grève de la faim: vous avez dit que, s’il le fallait, vous iriez jusqu’à la mort. Comment en êtes-vous arrivé à cette extrémité ?
Mes plaintes contre le projet de transfert à Thorberg n’avaient servi à rien. Un matin, huit policiers ont débarqué, m’ont attaché sur une chaise roulante et m’ont amené en fourgon cellulaire à la prison de Thorberg. J’ai essayé de me défendre, mais ma résistance était plutôt symbolique. Les autorités de Thorberg savaient que je ne voulais pas aller dans leur établissement, car je les en avais averties par lettre. A mon arrivée, j’ai immédiatement exigé qu’on me ramène à Thoune. Quand on m’a dit que c’était impossible, j’ai entamé une grève de la faim, alors que je suis contre la grève de la faim.

Votre deuxième grève de la faim vous a permis d’obtenir votre transfert de Thorberg à l’Hôpital de l’Ile, à Berne.
Après 20 jours de grève de la faim à Thorberg, j’étais très affaibli, mais je pouvais encore me déplacer en marchant. Lorsque les journaux ont commencé de parler de ma grève, le médecin a réagi. Il a déclaré qu’il voyait dans mon geste une sorte de suicide et qu’en conséquence il me laisserait mourir.
Le lendemain j’ai entendu qu’on parlait de moi à la radio. On y disait que je faisais une grève de la faim et que j’étais en phase terminale. Une heure après ce reportage, on m’a mis dans une ambulance spéciale et on m’a transporté à l’Hôpital de l’Ile, qui dispose d’une unité de soins surveillée. Je poursuivais ma grève de la faim. Quelques jours plus tard, deux psychiatres, dont Werner Strik, directeur de la clinique universitaire de psychiatrie et de psychothérapie de Berne et de l’unité des services psychiatriques de Berne (UPD). Lorsqu’ils se sont entretenus avec moi, j’ai remarqué que quelque chose n’allait pas. Peu  après, j’ai reçu la décision de l’OEJ de me transférer à l’Etoine, le service fermé de l’UPD, donc dans une prison psychiatrique.

A l’Hôpital de l’Ile, a-t-on abordé avec vous le sujet de l’alimentation forcée?
Non, ce n’était pas un sujet de discussion. On me demandait si je voulais manger ou non, et on m’abreuvait toujours du même discours, comme quoi une grève de la faim peut être dangereuse et qu’il fallait au moins que je boive suffisamment. Mais on a respecté ma grève de la faim.

A cette époque, aviez-vous signé une directive stipulant que vous renonciez à toute mesure visant à prolonger votre existence?
Même moi je ne suis pas tout à fait au clair à ce sujet. Lors de ma première grève de la faim à l’Etablissement d’exécution des peines de Soleure, j’avais signé une directive anticipée qu’on devait me laisser mourir au cas où je tomberais dans le coma. Je ne peux pas dire si ce document conservait toute sa validité dans le cadre de mes autres grèves de la faim dans le canton de Berne.

Les médecins vous ont-ils prescrit des médicaments?
Dès le début, les médecins m’ont informé que je devais prendre des médicaments, notamment des calmants, pour remédier à mes tendances suicidaires. Mais je n’avais absolument rien d’une personne agitée et fermement décidée à se suicider. Il s’agissait de fausses assertions. Les médecins n’en ont pas moins interprété ma grève de la faim comme une tentative de suicide. En fait, il s’agissait d’un acte politique, d’une protestation, car il ne me restait plus d’autre possibilité de me faire entendre.

Ces médicaments vous ont-ils alors été administrés de force?
Il s’agissait d’un liquide dans un gobelet. Je leur ai dit que je n’avalerais pas ça de mon plein gré. Alors quatre types de la sécurité de l’UPD, en uniforme, sont venus, m’ont saisi par les bras et les jambes et m’ont maintenu immobile sur mon lit. Les médecins m’ont posé une perfusion et, durant 45 minutes, j’ai reçu ces médicaments par voie intraveineuse.

Pendant tout ce temps, étiez-vous retenu ou attaché?
Je n’étais pas attaché, mais j’étais maintenu immobile. Et ça n’avait rien d’une plaisanterie, c’était de la violence pure.

A l’Etoine, l’unité de psychiatrie médico-légale des Services psychiatriques universitaires, avez-vous eu des entretiens avec Werner Strik, le directeur de la clinique?
Oui, nous avons discuté des heures ensemble. Mais ce n’était pas une thérapie. Le professeur Strik tentait de trouver une solution au problème, ce qui a débouché sur des entretiens aussi longs qu’intéressants. Il était lui-même sous pression, car il devait procéder à une administration forcée de médicaments imposée par l’OEJ.

Aucune loi ne peut forcer un psychiatre à vous faire prendre des médicaments.
Dans mon cas, l’OEJ a enjoint la psychiatrie de rédiger un rapport d’expertise rendant possible la médication forcée, car j’avais prétendument de graves tendances suicidaires.

J’ai de la peine à vous croire. Mais revenons à votre grève de la faim: quand y avez-vous mis un terme?
C’est ici qu’entre en jeu une personne de l’extérieur, un missionnaire qui me rendait régulièrement visite. Je ne suis pas religieux, je me suis même retiré de l’Eglise, et je me considère comme un anarchiste. Mais dans les prisons, on croise toujours des aumôniers et des missionnaires: il y en a bien une dizaine qui a essayé de me convertir à Jésus-Christ.

Et tous ces gens vous ont rendu visite?
Non, ça s’est passé par écrit. Il n’y en a qu’un qui m’a régulièrement rendu visite. A l’Etoine, en revanche, durant toute la période où j’étais sous médication forcée, j’ai été soumis à une interdiction totale de communication et maintenu dans en isolement. Personne ne savait ce qu’il advenait de moi. Je n’aurais même pas eu le droit de parler à un avocat. Par le biais de l’OEJ, ce missionnaire a découvert où j’étais. Il s’est rendu à Zurich, où il a convaincu l’avocat des stars Valentin Landmann de s’occuper de moi. Je ne voulais pas de cet avocat, car il défend les gens du milieu et les extrémistes.

Et pourtant c’est bien Valentin Landmann qui a repris votre dossier. Et vous avez mis fin à votre grève de la faim.
Comme je l’ai déjà dit, à cette époque j’étais au plus mal. Malgré l’interdiction, ce missionnaire est parvenu à me rendre visite à l’Etoine. Il m’a assuré que Valentin Landmann mettrait tout en œuvre pour me sortir de cette unité psychiatrique. J’allais tellement mal que je me suis laissé convaincre. J’ai fini par céder parce que le professeur Strik était d’accord et que le missionnaire prenait à sa charge une part des frais d’avocat.

C’est alors que vous avez été transféré à Thoune.
Un délégué de l’OEJ m’a rendu visite et m’a promis de demander à son chef d’envisager un éventuel retour à Thoune. Et, après 44 jours de grève, j’ai appris que l’OEJ avait décidé que je pouvais retourner à Thoune.

Qu’est-ce que ça signifie pour vous? Est-ce que cela vous ouvre de nouvelles perspectives ?
Je n’ai aucune garantie de pouvoir rester à Thoune. Je continue de me battre, je refuse toute thérapie et j’exige qu’une commission d’enquête parlementaire se penche sur mon affaire, car il s’agit d’un scandale judiciaire. £

Articles correspondant: Région »