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BASELWORLD

Cette montre connectée qui fait le buzz

L’édition 2015 ouvre ses portes aujourd’hui dans une atmosphère empreinte à la fois d’optimisme et de prudence

Hier dans les vitrines, on mettait la main aux dernières retouches pour présenter les montres sous leur plus beau jour. Photo ©: Keystone

Bâle

Philippe Oudot


Plus de 1500 exposants sont présents cette année dans la cité rhénane à l’occasion de Baselworld, le plus grand rendez-vous mondial de l’horlogerie et de la bijouterie, qui ouvre ses portes aujourd’hui. Une ouverture marquée par le décès d’une de ses personnalités les plus emblématiques: Jacques Duchêne, président du comité des exposants, subitement décédé dans la nuit de mardi à mercredi (voir «Vibrant hommage»).
En accueillant hier les nombreux médias pour la journée de presse qui précède l’ouverture officielle de Baselworld, sa directrice générale Sylvie Ritter a admis qu’en dépit des bonnes performances de l’horlogerie l’an dernier, on ne saurait parler d’euphorie pour qualifier l’état de la branche. «Il serait plus juste de dire qu’elle a bien résisté jusqu’ici.» La situation actuelle n’est en effet pas idéale, avec l’abandon du taux plancher, la crise russo-ukrainienne ou encore la baisse de la consommation en Chine. Sans oublier l’arrivée de la montre connectée dont certains disent qu’elle augure de sombres perspectives pour l’horlogerie traditionnelle. Cela ne va toutefois pas empêcher «quelque 150000 professionnels de converger à Bâle jusqu’à jeudi prochain pour y prendre le pouls de ces industries, et découvrir les nouvelles tendances et acheter les dernières créations», a relevé Sylvie Ritter.

Cohabitation possible

A propos des montres connectées, elle a constaté qu’on en trouvait depuis des années et que, pour l’heure, elles n’avaient pas vraiment bousculé l’horlogerie. Ce sont deux univers différents, avec un savoir-faire, de l’émotion et de l’intemporalité pour la montre traditionnelle, et de la technologie, du marketing et de l’obsolescence pour la smartwatch. Mais à ses yeux, «ces deux univers peuvent très bien cohabiter».
Elle a aussi insisté sur le caractère unique de Baselworld. Contrairement à d’autres branches comme l’automobile ou l’électronique, qui organisent plusieurs grandes manifestations par année dans le monde, «Baselworld est le seul rendez-vous majeur et incontournable de la branche. Cette position enviable et enviée doit être défendue sans relâche. Voilà pourquoi Baselworld évolue et innove chaque année», a souligné la directrice.

Evolution toujours positive

De son côté, François Thiébaud, président du comité des exposants suisses, mais aussi de la marque Tissot, est revenu sur l’évolution de l’horlogerie suisse ces dernières années. Après le fort recul de 2009 consécutif à la crise financière mondiale, l’horlogerie suisse a connu une belle progression jusqu’en 2012 et a continué de croître, mais plus faiblement, en 2013 et l’an dernier, avec des exportations qui ont atteint un niveau historique à 22,2 milliards de francs en 2014, en hausse de 1,9%.
En nombre de pièces, l’évolution a été assez semblable, avec 28,6 mios de montres exportées l’an dernier. Un nombre important, certes, mais que François Thiébaud a relativisé «car il se produit près d’un milliard de montres par année». Et de souligner la très belle performance des montres mécaniques dont la valeur a quasiment doublé en six ans, passant de 8,8 à 16,5 milliards de francs. Quant aux montres à quartz, elles ont passé de 3,5 à 4,4 milliards durant la même période. L’Asie (avec le Moyen-Orient) a absorbé plus de la moitié (53%) des montres exportées, devant l’Europe (31%) et les Amériques (14%). Et de préciser que l’année 2015 avait bien démarré, avec des exportations qui se sont élevées à 1,6 milliard de francs, en hausse de 3,7%.
A l’heure des questions, quelqu’un a demandé si, avec l’arrivée de la montre connectée, l’horlogerie n’allait pas au-devant d’une crise majeure comme ce fut le cas dans les années80. Non, a contré François Thiébaud. A ses yeux, ce type de produit est complémentaire et ne va pas tuer la montre traditionnelle. «C’est sans doute un défi, mais je ne suis pas inquiet, car l’horlogerie suisse a toujours su faire preuve d’innovation, rebondir et relever les défis.» Et de rappeler qu’il n’y a pas si longtemps, l’euro valait 1fr.60. Les horlogers ont donc bien dû s’adapter.

Vibrant hommage

Avec émotion, René Kamm, CEO du groupe MCH, la société qui accueille le prestigieux événement, a rendu un vibrant hommage à Jacques Duchêne, décédé à l’âge de 82 ans. Celui-ci aurait dû fêter aujourd’hui un double anniversaire: 60ans d’activités à Baselworld et 20ans à la présidence du comité des exposants. Directrice générale de la manifestation, Sylvie Ritter a renchéri, saluant le dynamisme et l’engagement de cette personnalité «sans qui Baselworld aurait un tout autre visage». Président du comité des exposants suisses, François Thiébaud a quant à lui relevé la passion et l’extraordinaire énergie de Jacques Duchêne: «C’est bien la preuve que l’énergie n’est pas une question d’âge, mais d’état d’esprit.»

François Thiébaud, malgré les exportations records l’an dernier, l’atmosphère est quelque peu crispée. Comment l’expliquez-vous?

Il y a plusieurs facteurs, avec des attaques de toutes parts. A commencer par la décision de la BNS d’abandonner le taux plancher qui a surpris tout le monde. Mais on voit que la situation est en train de se détendre, car l’écart entre le franc et l’euro s’est réduit. L’euro valait 94 à 96 ct. sitôt après l’annonce, et il vaut désormais 1fr.06, 1fr.07. Parallèlement, le dollar s’est aussi apprécié, ce qui compense un peu la situation par rapport à l’euro.

Vous évoquiez plusieurs facteurs…

Oui, il y a aussi les attaques de ceux qui annoncent que la montre connectée va tuer l’horlogerie traditionnelle. Ce discours, je l’ai déjà entendu quand les premiers téléphones portables affichant l’heure sont apparus. En fait, ces smartwatches sont des objets de consommation électroniques qui offrent une foule de fonctions intéressantes – santé, accès, réception de messages, etc. –, mais l’indication de l’heure n’est pas sa fonction principale, c’est un bonus. En revanche, nous autres horlogers «fabriquons» l’heure appliquant un savoir-faire traditionnel tout en y associant les dernières innovations technologiques. Notre produit reflète une émotion, il contribue à l’identité de l’individu qui porte telle ou telle montre.

Pas la montre connectée?

Non, c’est totalement différent! Une montre est un produit en trois dimensions. Ce n’est pas juste des aiguilles sur un cadran ou un affichage LCD à plat comme sur un smartphone, un écran TV ou un four à micro-ondes!

La montre connectée n’est donc pas une menace pour l’horlogerie traditionnelle?

Je dirais plutôt que c’est un produit complémentaire. J’ai confiance dans le savoir-faire de l’horlogerie suisse, qui a toujours su s’adapter. Je vois l’arrivée de la montre connectée comme une opportunité qui va nous booster et nous rendre encore plus créatif en étant encore plus à l’écoute du consommateur.

Sur les 1500 exposants présents à Bâle, une dizaine de marques, guère plus, présentent une montre connectée. Est-ce qu’on s’inquiète pour rien?

Non, mais vous savez, c’est un peu comme les news: quand on a neuf nouvelles positives sur dix, on parle toujours de la mauvaise…

Vous-même, en tant que président de Tissot, préparez aussi une montre connectée. Qu’offrira-t-elle?

Ce sera une T-Touch connectée à des balises placées à l’extérieur. Nous avons conclu un accord avec les cabanes alpines suisses. Environ 80 d’entre elles seront équipées d’une balise solaire, qui n’a donc pas besoin d’être rechargée. Grâce à celle-ci, quand vous arriverez à la cabane, vous pourrez recalibrer votre altimètre, avoir le degré d’hygrométrie et d’autres fonctions encore. Ultérieurement, nous pourrons équiper les aéroports, les lieux publics etc. Cela permettra, par exemple de passer directement à l’heure d’été sans toucher sa montre. Et il y aura une foule d’autres fonctions en cours de développement. Mais vous savez, Tissot produit aujourd’hui quelque 4mios de montres. La T-Touch est un produit exceptionnel, qui contribue à la renommée de la marque, mais elle ne représente que 5% des ventes en unités… Il ne faut donc pas trop s’illusionner sur le déferlement de la montre connectée.

Et quand cette T-Touch connectée arrivera-t-elle sur le marché?

Dans la 2e moitié de cette année.

Tendances actuelles

Connectées

Si l’Apple Watch, et plus généralement les montres connectées, font le buzz à Bâle, elles sont surtout présentes dans les têtes: dans les stands, il faut bien les chercher, puisqu’une dizaine de marques seulement en proposent.

Tradition

L’année 2015 marque le retour aux valeurs horlogères traditionnelles dans le mouvement mécanique, et cela aussi bien dans les garde-temps classiques que les créations plus contemporaines et épurées. Pour bon nombre de marques, l’heure est également au développement de calibres maison et de mouvements manufacturés. Une stratégie qui permet à celles-ci d’asseoir leur légitimité de véritable maison horlogère.

Design 

Dans ce domaine, les créateurs s’en donnent à cœur joie. On découvre beaucoup de cadrans blancs, mais aussi bleus ou gris anthracite. Du côté des boîtiers, les horlogers jouent la complémentarité et n’hésitent pas à allier une boîte en acier avec une lunette de couleur, en or rose de préférence. On constate aussi que les montres dames sont toujours plus nombreuses à être dotées d’un mouvement mécanique, que les pièces soient parées de diamants ou non.

Baselworld en chiffres

1500 Nombre d’exposants

288 Nombre d’exposants suisses, dont 219 actifs dans l’horlogerie, 39 dans la bijouterie, 30 dans les branches annexes

40 Nombre de pays exposants

150'000 Nombre de visiteurs professionnels attendus

4000 Nombre de journalistes attendus

10 Nombre de marques qui ont annoncé une montre connectée

8 Durée (en jours)de Baselworld, qui fermera ses portes le 26 mars prochain

 

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