Vous êtes ici

Abo

Santé

L’e-cigarette avec nicotine, mais seulement après 18 ans

Le conseiller fédéral Alain Berset a présenté, hier, son projet de loi sur les produitsdu tabac. Celui-ci ne convainc ni les milieux économiques, ni ceux de la prévention

Comme la clope normale, l’e-cigarette serait à l’avenir interdite de vente aux moins de 18 ans. Keystone

Berne
Laura Drompt

«Idéologique» et «dogmatique» pour les milieux économiques, «inefficace» et «se moquant de la santé des jeunes» pour le monde de la prévention: une chose est certaine, la nouvelle loi sur les produits du tabac (LPTab) divise. L’une des mesures clés concerne la cigarette électronique: le vapotage avec de la nicotine devrait être autorisé en Suisse. Mais l’e-cigarette, comme la clope normale, serait à l’avenir interdite de vente aux moins de 18 ans.

Alain Berset, chef du Département de la santé, a présenté la loi comme un «projet minimal, mais tout de même cohérent avec la convention de l’Organisation mondiale de la santé pour la lutte antitabac». Il a rappelé que le tabac coûte 1,2 milliard de francs par an aux assurances maladie et qu’il ôte la vie à 9500 personnes dans le même intervalle.

Interdit aux mineurs

Le texte varie peu de la version présentée en consultation, le Conseil fédéral le jugeant «équilibré». «Nous avons pesé les intérêts: d’une part, ceux de la jeunesse et de la santé publique, d’autre part ceux de l’économie.» De vives critiques se sont exprimées lors de la consultation. Seul point faisant l’unanimité: l’interdiction de la vente de cigarettes aux mineurs, généralisée à toute la Suisse. La mesure avait déjà cours dans dix cantons et est saluée par tous les bords.

«Le but de la nouvelle loi n’est pas d’interdire de fumer ou d’empêcher les achats, mais d’éviter les incitations pour les jeunes», a indiqué, hier, le ministre de la Santé. «Les études montrent que 57% des fumeurs ont commencé avant leurs 18 ans et 80% avant 20 ans.»

Halte aux cadeaux!

Toujours dans l’optique de protéger les mineurs, la publicité «facilement accessible aux enfants et aux jeunes» sera restreinte. Elle sera interdite à l’affichage, dans les cinémas, la presse écrite et sur les supports électroniques. Les cadeaux et gains lors de concours seront bannis, tout comme le parrainage d’événements internationaux par les fabricants de tabac. En revanche, les manifestations d’envergure nationale pourront continuer d’accepter l’argent et les stands de l’industrie de la cigarette.

Un volet de cette nouvelle loi concerne les vapoteurs qui, en Suisse aussi, pourront acheter des recharges contenant de la nicotine pour leurs cigarettes électroniques. En contrepartie, les e-cigarettes seront assimilées à leurs équivalents avec tabac, et donc soumises aux mêmes restrictions.

Economiecontre prévention

L’introduction d’un taux maximum de nicotine reste à établir, ainsi que l’éventuelle interdiction d’ingrédients pouvant entraîner une hausse de la toxicité ou de la dépendance dans les flacons des cigarettes électroniques.

Cette nouvelle réglementation fait bondir l’Union suisse des arts et métiers (Usam), qui condamne une «culture prohibitionniste» et une «mise sous tutelle des citoyens» appliquée «avec idéologie et dogmatisme». Le PLR, Economiesuisse et l’industrie du tabac vont dans son sens, de même que des cantons comme Neuchâtel, qui hébergent les sièges de ces multinationales.

De concert avec l’Aemp (Alliance des milieux économiques pour une politique de prévention modérée), l’Usam s’étonne de cette intervention étatique: «Aujourd’hui le tabac, demain l’alcool, puis la saucisse ou les pâtisseries à la crème.» Secrétaire général de l’Aemp, Rudolf Horber assume la formulation. «Depuis quelques années, nous subissons une avalanche de rapports et recommandations sur ce que l’on doit consommer ou non. Il faut laisser une certaine liberté aux consommateurs.»

Du côté de la Ligue pulmonaire, soutenue par le Parti socialiste, la nouvelle loi est déjà jugée inefficace. Grégoire Vittoz, son porte-parole, admet que «le tabac est un domaine dans lequel le compromis est impossible par nature».

«Vu sa nocivité, si l’on souhaite protéger la jeunesse, il ne faut laisser aucune fenêtre à l’industrie du tabac pour en faire la promotion.»

Quant à la comparaison du tabac avec des pâtisseries, il regrette un argument «d’une telle mauvaise foi». «Les pâtisseries ne tuent pas un utilisateur sur deux et n’en rendent pas 95% accros.»

Combattre les addictions

Dans la foulée de la loi sur le tabac, le Conseil fédéral a adopté une stratégie nationale sur les addictions en matière de drogues, d’alcool, de tabac et de nouvelles dépendances, comme les jeux d’argent.

«L’industrie du tabac et de l’alcool n’aime pas que l’on fasse le lien entre ces addictions. Mais ces comportements stimulent les mêmes zones du cerveau», analyse Jean-Félix Savary, du Groupement romand d’études des addictions, qui se réjouit de la direction donnée. «La Confédération fait enfin un pas en avant pour l’accepter. Mais on n’en est pas encore à une réelle coordination.»

Articles correspondant: Suisse »