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Hockey sur glace

Rüfenacht à l’épreuve de la planète

Le provocateur du CP Berne amorce ses deuxièmes championnats du monde avec l’équipe de Suisse aujourd’hui à midi à Paris face à la Slovénie.

L’attaquant du SCB Thomas Rüfenacht a célébré son titre de champion de Suisse avec des lunettes de ski «anti-bière et anti-champagne»!

Paris
Laurent Kleisl


Thomas Rüfenacht sort de la glace de Paris-Bercy. Plié en deux, il s’appuie sur sa canne. Le visage marqué par l’effort de l’entraînement, l’Américano-Suisse de 32 ans cherche son second souffle. En zone dite mixte, il s’affale sur la barrière séparant joueurs et journalistes. «Un instant, attendez un instant...», dit-il poliment. Il esquisse un rictus presque douloureux. Une grande respiration, puis un râle, quelque part entre «arrghh» et «pfffrrr».

Samedi 22 avril, alors que l’équipe de Suisse affrontait la Russie à Bienne, l’agent provocateur du CP Berne paradait dans les rues de la capitale fédérale. Une fête, puis une autre, avant quelques jours à Amsterdam entre champions nationaux. «Je ne suis resté qu’une seule nuit», rassure le Lucernois d’origine. «C’est normal, un titre doit quand même un peu être célébré. On a passé quelques belles soirées...» Le retour à la PostFinance-Arena dans la nuit du 17 au 18 avril, après la victoire décisive récoltée à Zoug, a été mémorable. Des heures de liesse que Thomas Rüfenacht a traversées avec de grosses lunettes de ski sur le nez. «J’ai vu ça au baseball aux Etats-Unis», explique-t-il. «C’était ma protection anti-bière et anti-champagne!»

Tout en contrôle
Deux semaines jour pour jour après la parade fédérale, Thomas Rüfenacht et ses collègues internationaux du SCB – Leonard Genoni, Ramon Untersander et Simon Bodenmann – reprennent du service face au néo-promu slovène, aujourd’hui à12h15, et contre la Norvège, demain à20h15, pour l’entrée en lice de l’équipe de Suisse au volet parisien des Mondiaux. Avec le corps qui pique? «Là, je patine beaucoup pour retrouver mes jambes. C’est agréable d’à nouveau avoir de la glace sous les patins», glisse-t-il. «On est pro, faire le plein d’énergie et de motivation, c’est notre job. Et moi, je suis toujours très motivé de jouer pour mon pays. Et quand on revient après un titre, on ressent un magnifique sentiment de confiance. J’espère qu’il m’aidera à avoir de l’impact à Paris.»

De l’impact? Jamais durant sa carrière, Thomas Rüfenacht n’avait autant pesé sur le jeu de son équipe. Gratteur, affûteur, compteur – 18 points en 16 matches de play-off –, le Yankee à croix blanche a dynamité les séries. «Oui, je me sens au sommet de ma forme», confie-t-il. «Ce n’est pas qu’une question de points, c’est l’ensemble de ce que je peux apporter à mon équipe. Avec Berne, j’ai aussi un autre rôle, avec de la glace en jeu de puissance par exemple.»

Autant contre Bienne que Lugano et Zoug en finale, «Rüfi» a excité la volaille. Agacer l’adversaire, c’est sa mission, qu’il remplit avec zèle. Sa «discussion» en demi-finales avec Maxim Lapierre s’inscrit déjà dans les instants cultes des play-off 2017. A l’invective, Thomas Rüfenacht a poussé le bouillant Québécois de «bianconeri» à l’explosion. A un sourire narquois, Lapierre a répondu par deux coups-de-poing. «Pour moi, cette scène symbolise nos play-off», observe-t-il. «On a provoqué, on a joué dur, mais on n’a jamais dépassé la limite.» Et un agitateur tout en contrôle, ça énerve encore plus.

L’autre «Rüfi»
Sur la grande scène planétaire, cependant, ce jeu si particulier génère de modestes effets. Avec l’équipe de Suisse, l’attaquant en deviendrait presque inoffensif. «Je ne suis pas d’accord», coupe Patrick Fischer, le sélectionneur national. «Lors de ses premiers Mondiaux en 2014 à Minsk, où j’assistais Sean Simpson, Tom avait bien joué et amené de l’énergie au groupe. Pour lui, c’est plus difficile de provoquer à ce niveau-là qu’en LNA, mais il n’est plus uniquement un agitateur. Ces deux ou trois dernières années, il s’est beaucoup développé, notamment dans le jeu avec la rondelle. Il l’a prouvé cette saison: il peut marquer beaucoup de points.»

A Paris, pour sa deuxième apparition aux championnats du monde, Thomas Rüfenacht lancera sa campagne dans un trio offensif complété par le Canado-Genevois Cody Almond et le Zurichois Reto Schäppi. «On peut faire des dégâts», salive-t-il déjà. Avec quelques bons mots, quand même?

 

Le chiffre

1 Un seul joueur du cadre de la Slovénie, adversaire de l’équipe de Suisse ce midi, évolue au pays. L’attaquant Ales Music (34 ans) gagne sa croûte à l’Olimpija Ljubljana, club d’EBEL, le championnat autrichien. Le solde sévit en France, en Allemagne, en Autriche et dans la KHL russe, comme l’atout offensif No 1 Robert Sabolic (Admiral Vladivostok).

 

«Un match à midi, ça aide à la jouer modeste»

Trois questions à Gil Montandon,
ancien international suisse et consultant pour la RTS

La Suisse amorce son tournoi samedi à 12h15 face au néo-promu slovène. Est-ce que cet horaire peut perturber le biorythme des joueurs?

On mange des pâtes à 7h30 plutôt qu’au dîner, c’est la seule différence! Et puis, la rencontre commence à la même heure pour les deux équipes. Quand, à ce niveau-là, le premier match est fixé le samedi à midi, ça signifie bien qu’on n’est pas le favori du tournoi, ça aide à la jouer modeste (rires).

Cette équipe de Suisse version2017, comment la sentez-vous?

Je suis assez dubitatif. Je m’étais un peu enflammé après les victoires en préparation contre les Russes. Même si ce n’était pas la grande Sbornaja, on avait bien occupé l’espace. Puis, face au Danemark, je suis rentré dans le rang, comme les joueurs. Et mardi à Genève, le match face au Canada a confirmé mes doutes. Je ne sais pas si l’équipe est consciente qu’elle commence des Mondiaux, d’autant plus après avoir vu les entraînements sur place ces derniers jours. Ça manque en intensité, en qualité, en bonne attitude. Il y a encore du boulot, il y a encore un effort à fournir.

Avec une phase de préparation aussi longue, les joueurs n’entrent-il pas dans une forme de routine?

A l’inverse, les Canadiens sont ensemble trois jours et ils sont dans le truc. Mais cette façon de procéder n’est pas dans notre ADN. Pour les joueurs éliminés en quarts de finale des play-off, cinq semaines, c’est long, alors que ceux qui sortent de la finale se demandent ce qu’ils font là! Trouver le bon amalgame, trouver 25guerriers prêts à jouer leur vie sur la glace, ce n’est pas évident.

Et le sélectionneur Patrick Fischer, qu’en pensez-vous?

Dans ce genre de compétitions, pour avoir des résultats, un coach est obligé d’avoir de la chance. Alors, je ne mise pas que là-dessus, mais j’espère que Fischer en aura! Cette année, on n’a pas de joueurs tels que le Danois Nikolaj Ehlers ou le Français Antoine Roussel, des mecs qui arrivent à dynamiter un match à eux seuls. Je ne vois pas un gars dans cette équipe qui soit au-dessus du lot, comme le serait Roman Josi. La Suisse, c’est un collectif, mais il faut forcément des efforts individuels pour faire pencher la balance. J’espère juste qu’on en sera capable...

 

Commentaire

Le hockey en France, c’est pas gagné

Un chemin dans un parc. Une barrière. Derrière celle-ci, le Palais omnisport de Paris-Bercy, ou AccorHotels Arena pour des raisons marketing, un gigantesque bâtiment dont les parois extérieures sont tapies de verdure. Une affiche ou l’autre, tout au plus, rappelle aux passants la tenue de la moitié des Mondiaux 2017 de hockey sur glace dans la capitale de l’Hexagone. A moins de quatre heures de TGV de là, Cologne, autre ville hôte du tournoi, vibre pour les pucks.

Dans les rues, au bistrot, si ce n’est quelques très rares initiés, le quidam ignore tout du hockey et de la tenue, à Paris, de son rendez-vous planétaire annuel. Au-delà du site de Bercy, rien n’incite à la curiosité. Ce désert n’invite même pas les Franciliens à se poser une question banale qui, en Suisse, n’a pas lieu d’être: le hockey, c’est quoi?

Pour la quinzaine, plus de 150 000 sièges ont déjà trouvé un séant à honorer à Bercy. Des Finlandais, des Tchèques et des Suisses, beaucoup de Suisses, se sont appropriés ce contingent. Les Français? Des mordus, des initiés. Coincé entre élection présidentielle et mesures de sécurité, le grand public reste dans l’aveuglement le plus complet.

Selon des chiffres publiés ces derniers jours par le quotidien sportif «L’Equipe», le budget global de l’événement est estimé à 24,4 millions d’euros, dont 11,5 millions pour le volet parisien. En comparaison, les championnats du monde de handball, que Paris, Lille et Montpellier ont notamment co-accueilli en janvier, ont généré un duvet de 30 millions d’euros.

La Fédération française de hockey sur glace compte sur les Mondiaux afin de dynamiser l’intérêt pour son sport. Ce n’est pas encore gagné.

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