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Horlogerie

«Oui, il y aura bel et bien un Baselworld en 2020»

Michel Loris-Melikoff, le nouveau directeur général de Baselworld, n’était en fonction que depuis quelques jours lorsqu’il a appris le retrait du plus grand exposant. L’actuel patron du salon international de l’horlogerie n’en perd pas son calme pour autant et affirme adopter un autre style que ses prédécesseurs. Pour lui, une chose est claire: c’est le client qui lui paie son salaire, il mérite donc qu’on lui prête la plus grande attention.

Le directeur de Baselworld Michel Loris-Melikoff, dans son bureau situé au 17e étage de la tour de la Foire. Photo: Stefan Leimer

Par Tobias Graden/ Traduction Marcel Gasser

Nouveau président de Baselworld, Michel Loris-Melikoff livre ses premières impressions depuis son entrée en fonction.

Michel Loris-Melikoff, à l’heure actuelle personne ne vous envie votre job…
Je ne crois pas qu’on puisse dire ça. C’est un job passionnant, et quand je l’ai accepté, je savais que c’était un challenge à relever. L’affaire Swatch Group ne fait qu’y ajouter un peu de piment.

Vous êtes en poste depuis le 1erjuillet. La Basler Zeitung a dit de vous que vous étiez un illustre inconnu dans la branche. Pourquoi seriez-vous la bonne personne pour cette mission?
Je le suis premièrement parce que je reprends la direction de Baselworld sans préjugés. Je peux jeter sur le salon un regard extérieur et, de façon tout à fait pragmatique, poser d’autres questions que les gens actifs depuis longtemps dans ce business. Et deuxièmement, je suis la bonne personne parce que je suis actif dans l’événementiel depuis 25 ans. Or, la question centrale qu’il faut se poser dans ce business est la suivante: pourquoi, au fond, mettre sur pied un tel événement? C’est une question que les clients – à savoir les exposants de Baselworld – se posent également. Or, les intérêts sont divergents. Ma tâche consiste donc à trouver le plus grand dénominateur commun parmi ces besoins différents et à orienter ce salon de telle façon qu’il réponde à cette situation.

Cette année, Baselworld n’a attiré que la moitié des exposants par rapport à 2017. A votre avis, comment expliquer une telle désaffection?
Je n’en fais tout un plat. Je dois me tourner vers l’avenir.

Oui, mais vous avez certainement analysé le phénomène.
Franchement, je n’ai pas le temps de me préoccuper de la gestion du passé. Ce que je peux dire à ce sujet, c’est que les raisons de ce recul sont multiples. Certains exposants ont affirmé qu’ils avaient souffert d’une certaine arrogance. D’autres ont déploré que les prix de l’hôtel soient exorbitants. D’autres encore ont dû se résoudre à redimensionner leur grand stand, parce que leur affaire a diminué de volume. Toutes ces raisons méritent évidemment d’être prises au sérieux, et il faut maintenant trouver le dénominateur commun que je mentionnais auparavant. Je peux apporter ma contribution en modifiant notre manière de communiquer et de traiter nos clients. J’adopterai un tout autre style que celui de mes prédécesseurs.

D’accord, mais vous ne ferez pas l’économie d’une analyse plus approfondie. Ce sont justement les événements du passé qui expliquent que vous soyez à ce poste aujourd’hui.
Oui, entre autres. Mais pas seulement. En premier lieu, il y a le fait que Sylvie Ritter et Martin Ferguson ont démissionné, libérant ainsi deux postes. Et le hasard a voulu que mon travail à Lausanne arrivait à son terme. D’autre part, j’avais envie de relever un nouveau défi. Tout s’est parfaitement mis en place, la direction et le conseil d’administration étaient d’avis que j’étais la personne qui convenait pour faire face à la situation actuelle.

Du point de vue conceptuel, Baselworld 2018 n’a apporté aucun changement notable. On a même pu constater ici ou là un retour en arrière. Baselworld ne se serait-il pas tout bonnement endormi sur ses lauriers, passant ainsi à côté des signes du temps?
C’est possible. Mais il faut aussi relever que les participants qui sont venus au salon sont repartis majoritairement satisfaits. Raison pour laquelle le nombre de visiteurs n’est pas à lui seul un critère très pertinent. Pour revenir à votre question: après coup, on est toujours plus intelligent. Il y a cinq ans, nous avons inauguré la nouvelle halle. Elle a fait l’unanimité, et à l’époque cette décision était cohérente. Mais entre-temps, les marchés ont évolué, et la numérisation aussi. Ces évolutions n’ont pas impacté uniquement la branche horlogère, et elles étaient imprévisibles, du moins en partie. Nous n’avons plus l’intention de courir derrière les développements, mais de mettre nous-mêmes les accents.

Et comment allez-vous procéder?
Par exemple en proposant de nouveaux services dans le domaine de la communication, avec les dernières technologies. Nous allons faire beaucoup plus pour les blogueurs et les influenceurs. Nous sommes conscients que nous avons là du retard à rattraper.

Vous avez évoqué la construction du nouveau bâtiment conçu par le bureau d’architectes Herzog & De Meuron. Avec le recul, ne doit-on pas considérer qu’il s’agit là d’une erreur de planification?
On avait besoin d’une nouvelle halle. Et avec les connaissances de l’époque, cette construction était probablement la bonne décision. Avec les données actuelles, on déciderait peut-être différemment. Mais moi, j’ai un salon à mettre sur pied, je ne vais pas me casser la tête sur les problèmes immobiliers et les investissements du passé.

Vous avez utilisé le terme d’arrogance. Certains exposants se sont plaints d’avoir été traités en quémandeurs. La situation actuelle résulte également de cette forme de condescendance. Vous avez beaucoup à vous faire pardonner…
Je suis comme je suis. Dans leur contact avec moi, les gens constateront que j’ai une autre approche et que je suis un type différent. Dans mes activités précédentes, j’ai toujours répété à mes collaborateurs que nous ne devions pas perdre de vue qui paie les salaires. Ce n’est ni le MCH Group, ni moi. Ce sont nos clients. C’est pourquoi nous devons leur prêter la plus grande attention, et ce n’est pas tout simple.

Quelques jours après vos débuts, le retrait du Swatch Group a fait l’effet d’une bombe. Et récemment, Nick Hayek l’a justifié par le manque de respect dont le Salon aurait fait preuve à l’égard du Swatch Group, le plus grand de ses exposants. Manquez-vous à ce point de temps que ne puissiez lui expliquer votre approche de manière plausible?
J’apprécie Monsieur Hayek, et j’ai beaucoup de respect pour lui. Sa passion m’impressionne, et j’aime beaucoup sa droiture. Il m’a dit que sa démarche n’était pas dirigée contre moi. Je dirais qu’il n’y a rien que je puisse faire pour revenir en arrière. Le départ du Swatch Group est un fait qui doit être accepté. Ce que je peux faire, en revanche, c’est tout mettre en œuvre dorénavant pour montrer que nous fonctionnons différemment. Et j’espère qu’ainsi Monsieur Hayek changera bientôt d’avis.

Comment le contact avec lui s’est-il établi ces dernières semaines?
Nous nous sommes rencontrés une première fois le 8juin, et nous avons eu un excellent entretien. Nous avions prévu une entrevue de 45minutes, et je suis resté deux heures et demie en sa compagnie. Puis il m’a appelé le 7juillet, alors que j’étais en plein déménagement. Il m’a fait part de ses critiques. Par la suite, nous avons eu de nombreux contacts durant lesquels j’ai tenté de renverser la situation. Mais elle est ce qu’elle est. Il n’empêche que les idées de M.Hayek sont importantes à nos yeux, même s’il n’expose plus à Baselworld.

De toute évidence, jusqu’à ce coup de fil du 7juillet, rien ne laissait présager que le Swatch Group effectuerait une telle démarche. Tout indiquait plutôt qu’il serait de la partie en 2019. Avez-vous l’impression que Nick Hayek n’a pas tenu parole?
Non, il a pris une décision. Ce qu’il a dit auparavant correspond bien à ce qu’il pense. Mais depuis, justement, il a révisé son opinion.

Non sans pertinence, Nick Hayek a critiqué le fait qu’avec ce nouveau concept, les exposants aient été mis devant le fait accompli. Qu’est-ce que vous en dites?
Je dis que nous devons définir plus clairement le rôle dévolu aux divers comités et intensifier les échanges à l’intérieur de ces derniers. Je préconise des rencontres mensuelles. Par le passé, ça s’appelait comité exécutif, il s’agissait donc d’une instance décisionnelle. Il y a quelques années, on en a fait un comité consultatif, donc un organe de conseil. C’est ce rôle qu’il s’agit de clarifier aujourd’hui.

Bon, comité exécutif ou consultatif, Baselworld ne pourra pas faire autrement que d’accorder plus de pouvoir aux exposants.
Ce n’est pas une question de pouvoir, mais de concertation, de coexistence. Nous devons poser les bons jalons ensemble, afin que Baselworld réponde valablement aux besoins de l’industrie.

Le départ du Swatch Group crée également un grand vide physique: la Plaza Swatch Group était en effet le centre de la halle1.
(Il interrompt) Vous permettrez aux autres marques de voir les choses différemment. Vous savez, chacune considère, à juste titre, son stand comme étant le centre…

D’accord, mais du strict point de vue spatial, le stand du Swatch Group occupait le centre de la halle1.0. Comment allez-vous combler cet espace?
On verra. Sur ce point comme sur d’autres, je ne prendrai pas de décision unilatérale. Il y a diverses idées dans l’air, nous allons en débattre au sein du comité, nous prononcer pour l’une d’entre elles et la mettre en place.

Le stand du Swatch Group a-t-il déjà été retiré?
Non, il est toujours en place. Nos spécialistes et ceux du Swatch Group se concertent sur la meilleure manière de le démonter sans endommager ou salir les autres stands, et de telle sorte que la sécurité soit garantie. Tous les exposants ont investi beaucoup d’argent pour que le taux d’humidité de l’air dans la halle, par exemple, soit contrôlé, pour que la température reste constante et qu’il n’y ait pas de poussière. Les autres marques ont donc des attentes auxquelles il faut répondre, même durant le démontage.

Pour animer valablement la place qui est en train de se libérer, les délais risquent d’être un peu justes. La démarche de Nick Hayek est-elle survenue au plus mauvais moment?
Quand un exposant de cette importance s’en va, le moment est toujours mal choisi. Mais dès que nous avons eu connaissance de la décision, nous avons commencé à travailler sur de nouvelles variantes. Hélas, chaque jour ne compte que 24h!

Vous devez également vous attendre à ce que le Swatch Group mette sur pied son propre événement pendant la tenue du Salon.
C’est ce que vous dites. Je n’ai pas le sentiment que Monsieur Hayek ait l’intention de parasiter Baselworld; franchement, cela m’étonnerait beaucoup.

Depuis ce départ, d’autres exposants ont-ils fait défection?
Non. Il a certes fallu communiquer de manière intensive, mais aussi bien dans le segment bijouterie que dans le segment horlogerie, nous sommes bien partis. Nous faisons le maximum pour venir à bout de la réorganisation du Salon.

La branche horlogère a changé. Les grandes marques organisent elles-mêmes la distribution sur les marchés, préfèrent vendre leurs montres par le biais de leurs propres magasins et, en grande partie, contrôlent elles-mêmes leur communication sur tous les canaux. En un mot comme en cent: quelle est encore l’utilité de Baselworld?
Monsieur Biver l’a dit de manière pertinente: parce qu’on peut y rencontrer beaucoup de gens en très peu de temps. La raison d’être d’un salon est là: pendant un temps déterminé, on trouve au même endroit une concentration rare d’acteurs importants d’une branche. Il y a les produits, il y a le business, mais il y a également la plateforme de réseautage qui favorise les échanges personnels.

Pour les exposants, les coûts sont régulièrement au centre des discussions. Vont-ils baisser?
Nous l’espérons. Vous savez, quand on lit dans la presse que le Swatch Group dépensait 50 millions pour être au Salon, cela ne signifie évidemment pas que tout cet argent tombait dans les caisses de Baselworld. Il faut comprendre au contraire que c’est le coût global, qui inclut les invitations, le catering, les nuitées à l’hôtel et les dépenses en personnel. Le salon Baselworld ne concerne pas uniquement l’organisateur, mais toute une région et beaucoup d’autres branches de l’économie. Voilà pourquoi nous devons nous asseoir autour de la même table et trouver les solutions ensemble.

Aujourd’hui, vous allez vers les hôteliers avec pour objectif d’obtenir d’eux un niveau de prix raisonnable. Cela donne l’impression que par le passé, ils ont profité de Baselworld de manière éhontée, et qu’aujourd’hui, c’est à vous de corriger cette dérive…
Evidemment qu’il faut corriger cette dérive! Mais tant que tout allait bien, tout le monde payait les prix. C’est comme pour les bananes à la Migros: quand il y en a moins, leur prix augmente. Et s’il y a toujours autant de gens qui veulent en acheter, leur prix continue d’augmenter. Seulement voilà: aujourd’hui la situation du marché a changé, et chacun commence à se demander quels prix sont justifiés et lesquels ne le sont pas. Ces entretiens se déroulent dans un état d’esprit positif.

Est-ce que vous allez également au-devant d’anciens exposants qui ne sont plus au Salon? 
Bien entendu.

Et comment réagissent-ils?
La plupart sont agréablement surpris que le nouveau directeur général de Baselworld s’approche d’eux.

Y en a-t-il parmi eux qui reviendront à Bâle?
Il est encore trop tôt pour se prononcer à ce sujet.

Y a-t-il des projets visant à impliquer davantage l’industrie de la sous-traitance? 
Oui, très clairement. Pour moi, il est primordial que Baselworld soit une plateforme pour toute l’industrie, ce qui inclut les fournisseurs. Nous allons tout prochainement nous approcher d’eux et nous leur tiendrons un discours à la fois pragmatique et d’une parfaite franchise. S’ils ne sont plus venus à Bâle, ce n’est pas seulement en raison des prix. C’est aussi parce qu’ils ne se sentaient plus pris au sérieux. Nous souhaitons les convaincre de revenir.

Y a-t-il des réflexions visant à mieux planifier les dates du salon Baselworld et du SIHH de Genève, afin d’éviter que les visiteurs internationaux soient contraints de venir deux fois en Suisse?
Les deux salons sont au service de l’industrie de l’horlogerie et de la bijouterie. Il me paraît donc opportun d’avoir bientôt une entrevue sur cette question de dates et d’essayer de trouver les solutions qui s’imposent.

Ces derniers temps, la structure de propriété et la composition du conseil d’administration de MCH Group ont également suscité des polémiques. Estimez-vous opportun qu’au sein du conseil d’administration, ce soient les représentants des pouvoirs publics qui ont le dernier mot?
C’est une question qu’il vous faut poser aux représentants du conseil d’administration, pas à moi.

Y aura-t-il encore un Baselworld en 2020? Et si oui, de quoi aura-t-il l’air? 
Oui, il y aura bien un Baselworld en 2020. Et en novembre je pourrai vous dire de quoi il aura l’air, lorsque nous aurons défini la nouvelle vision.

Si d’aventure vous parvenez à mettre sur pied en 2020 un Baselworld couronné de succès, alors c’est que vous aurez effectué une tâche herculéenne. Actuellement, combien d’heures travaillez-vous par semaine?
Entre 60 et 70 heures.

A l’occasion de cet entretien, portez-vous intentionnellement au poignet la montre d’un exposant qui sera également là l’année prochaine?
(Il éclate de rire) Je possède au moins un modèle de presque tous les grands fabricants de montres suisses. Mais il est vrai que les montres provenant de la firme Swatch Group sont les plus nombreuses. Cela s’explique par des raisons familiales: mon grand-père paternel et mon père possédaient plusieurs Omega Seamaster, du coup j’en ai moi aussi une ou deux. Je considère la montre comme un bijou, un objet décoratif. Le matin, une fois habillé, je regarde quelle montre me plaît le plus sur le moment. Ce peut être une Seamaster, une Patek, une Rolex, une Hublot. Chacune d’elles a une signification émotionnelle particulière. Si l’édition Baselworld 2019 et celle de 2020 sont des succès, j’aurai de la peine à décider quelle montre acheter pour immortaliser cette émotion!

bio express
>53 ans.
>Etudes de droit.
>Début de carrière dans le private banking.
>1999 à 2000:brand manager chez Red Bull.
>2000 à 2006: président de la Street Parade de Zurich.
>2017 à 2013: directeur d’Event Schweiz SA et, depuis 2010, responsable de la halle Saint-Jacques, à Bâle.
>2013 à 2014: directeur de Umwelt Arena, à Spreitenbach.
>2014: directeur des événements tiers, puis directeur  de MCH Beaulieu Lausanne SA dès 2015.
>Juillet 2018: directeur du salon Baselworld.

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