Vous êtes ici

Abo

Baoshida Swissmetal

«C’est de la gestion déloyale grave»

Ancien administrateur unique, Xingjun Shang a été reconnu coupable de gestion déloyale commise pour un montant de 14,667 mios d’euros et de 720 000 dollars. Il a été condamné à deux ans de prison avec sursis pendant deux ans et à une mesure d’expulsion de Suisse pendant cinq ans.

Les agissements de l’ancien président ont pesé très lourd dans les déboires de l’entreprise. Stéphane Gerber

Par Philippe Oudot

En détention provisoire depuis près de sept mois, l’ancien président du conseil d’administration de Baoshida Swissmetal (BSM) Xingjun Shang a comparu hier devant le Tribunal pénal économique, à Bienne, au terme d’une procédure simplifiée. Cette dernière a été négociée entre le procureur du Ministère public Yannick Montavon et l’avocat de la défense Michael Daphinoff.

Dans ce genre de procédure, a souligné le juge unique Maurice Paronitti, le Tribunal n’a pas à se prononcer sur la culpabilité du prévenu et n’est pas chargé du fardeau de la preuve. Son rôle se limite à vérifier que l’acte d’accusation négocié est applicable. Xingjun Shang avait été arrêté le 29 octobre 2018 en raison de soupçons pour gestion déloyale, faux dans les titres, voire d’escroquerie et, depuis, se trouvait en détention provisoire à Berne.

Hier, assisté d’une traductrice, le juge a soumis le prévenu à plusieurs questions afin de s’assurer qu’il avait bien pris connaissance de l’acte d’accusation, qu’il reconnaissait les faits et qu’il était d’accord avec la sanction négociée entre le procureur et la défense. A savoir, une peine privative de liberté de 24 mois, suspendue et assortie d’un sursis de deux ans, et une mesure d’expulsion avec interdiction de revenir en Suisse pendant cinq ans. Quant aux prétentions civiles de la partie plaignante, elles ont été réglées par convention en avril dernier, le prévenu ayant reconnu devoir à BSMplus de 20,4mios de francs, plus les intérêts, et cela depuis le 30 septembre 2018.

Gestion déloyale
Selon l’acte d’accusation, l’ancien président du conseil d’administration de Baoshida Swissmetal s’est rendu coupable de «gestion déloyale commise à réitérées reprises au préjudice de l’entreprise, entre novembre 2016 et juillet 2018». Il y a eu d’abord la conclusion d’un contrat de prêt de 15mios d’euros entre la China Development Bank (CDB) et BSM, le 17 novembre 2016. Ce contrat prévoyait une triple garantie: le prévenu, son épouse et la maison mère Baoshida Holding. «Les fonds devaient servir à la production quotidienne (…), principalement par l’achat de cuivre;le délai de remboursement du prêt était fixé à 12mois.»

Cette somme était mise à disposition de BSM au moyen d’une ligne de crédit ouverte sur un compte bancaire auprès de la CDB, mais le service financier de l’entreprise n’y avait pas accès. Or, sans en référer au conseil d’administration ni à la direction de BSM, le prévenu a fait transférer cette somme en Chine au profit de la holding en opérant différentes transactions au détriment de l’entreprise, alors même qu’elle continuait d’accumuler des pertes et d’être constamment à court de liquidités.

Jamais vu la couleur
Ces opérations ont ainsi permis de contourner les impératifs du contrat de prêt et «n’ont jamais profité, ni directement, ni indirectement, aux usines de BSMde Reconvilier et de Dornach». En novembre 2017, Xingjun Shang a ensuite fait virer 220000 dollars sur un compte de Baoshida Holding en Chine, en dépit des mises en garde de Claudio Penna, CEO de BSM. En février 2018, il faisait encore transférer 500000 dollars en Chine, malgré la ferme opposition du management. Une somme prélevée sur des préfinancements de commandes versés par des clients…

Enfin, à la demande de la CDB, il acceptait, en juillet 2018, l’inscription de droits de gage mobilier sur les cédules hypothécaires portant sur les bâtiments et les terrains de l’usine de Reconvilier. Or, au vu de la situation financière de BSMqu’il connaissait parfaitement en tant que président du conseil d’administration, il savait pertinemment que l’entreprise ne pourrait rembourser à court ou moyen terme le prêt de 15mios de la CDB. «C’est donc en connaissance de cause que le prévenu a décidé de faire peser sur BSM une charge supplémentaire, après l’avoir d’emblée privée de la quasi-totalité des fonds dont elle était débitrice», lit-on dans l’acte d’accusation.

Eléments troublants
Dans son intervention d’hier, le procureur Yannick Montavon a constaté qu’il était peu fréquent qu’on juge le président du conseil d’administration d’un fleuron industriel pour des actes qui en ont gravement compromis l’existence. Et si le prévenu a été arrêté l’automne dernier, c’est bien parce qu’après l’avis de surendettement, le juge civil a constaté des éléments pour le moins troublants dans le dossier. Ases yeux, les agissements du président du conseil d’administration peuvent sans autre être qualifiés de gestion déloyale grave.

Certes, a admis le procureur, le prévenu n’a pas mis cet argent dans sa poche mais l’a utilisé pour rembourser des crédits d’autres sociétés de Baoshida Holding. Et s’il a renoncé aux autres chefs d’accusation (faux dans les titres, voire escroquerie) à l’encontre du prévenu, c’est surtout parce que c’est quasi impossible à prouver et parce qu’ils ont été commis en Chine, peut-être même à son insu. Ce qui n’enlève rien à la gravité des actes commis, «le prévenu ayant poussé le vice jusqu’à mettre en gage les terrains de Reconvilier».

Dépassé par la situation
De son côté, l’avocat de Xingjun Shang a cherché à dépeindre son client sous un jour un peu plus positif. D’abord en rappelant qu’à fin 2012, Baoshida Holding avait investi quelque 15mios de francs pour une entreprise alors insolvable. Ensuite, la maison mère aurait injecté 60mios de francs sous forme de prêts et d’augmentation de capital, sans que le management ne parvienne à sortir des chiffres rouges. Si son client en est arrivé là, c’est parce qu’il a été dépassé par la situation, plusieurs banques chinoises ayant exigé de la holding le remboursement de prêts avant leur échéance. Et d’ajouter que son client avait agi dans l’urgence et dans l’intérêt du groupe pour essayer d’en assurer la survie.

Al’heure de rendre son verdict, le juge Paronitti a rappelé le caractère illicite des faits relevés dans l’acte d’accusation. Qu’il s’agisse de l’usage fait de l’emprunt de 15mios d’euros contracté au nom de Baoshida Swissmetal, des deux transferts en dollars ou de la mise en gage des biens-fonds de Reconvilier en faveur de la CDB.

Détention maintenue
Il a confirmé l’accord négocié entre les parties et converti l’acte d’accusation en dispositif de jugement. Le prévenu est donc condamné à 24 mois de prison avec sursis de deux ans, à l’expulsion de Suisse avec interdiction d’y remettre les pieds durant cinq ans, ainsi qu’au paiement des frais engendrés par l’instruction, soit 39837fr. Il a aussi indiqué que le prévenu resterait maintenu en détention pour motif de sûreté, afin de préparer et d’organiser son expulsion.

Apropos de la peine, qui peut paraître modérée au regard du préjudice subi par BSMet de la gravité des faits reprochés, le juge a observé que la sanction tenait aussi compte de l’absence d’antécédents pénaux du prévenu et du fait qu’il n’y avait pas eu enrichissement personnel. Une peine qu’il a finalement estimée équitable, compte tenu des 207 jours de détention provisoire qui ont précédé le jugement.

Articles correspondant: Région »