Le gendarme de la concurrence sème le trouble

Par Philippe Oudot

En matière de communication, la COMCO n’est pas vraiment une experte. Mercredi soir, son directeur Patrick Ducrey annonçait en effet à l’agence AWPque l’accord conclu avec le Swatch Group concernant la livraison de mouvements était prolongé jusqu’à fin 2020. La réalité est toutefois différente. Dans sa décision publiée hier, la COMCOindique avoir prononcé des mesures provisionnelles en attendant une décision définitive. D’ici là, ces me-sures «garantissent que l’obligation de livraison continue formellement à exister jusqu’à cette date». Vraiment?

Selon ce communiqué, il est indiqué que «les obligations formelles résultant de l’accord amiable restent valables, mais pour des raisons techniques, les livraisons seront de fait provisoirement suspendues». Ces mesures prévoient donc la suspension provisoire de la fourniture de mouvements mécaniques aux clients, à l’exception des PME à qui ETA pourra fournir des mouvements sur une base volontaire… En clair, le gendarme de la concurrence empêche certains clients – les plus gros –d’être livrés, et d’autres pas. La COMCOexige en outre que les PMEsoient toutes traitées sur pied d’égalité. Or, dans les faits, les PMErisquent aussi de faire les frais de la décision de la police de la concurrence.

Décision peu claire
Président de la Fédération de l’industrie horlogère suisse (FH), Jean-Daniel Pasche constate que «la décision peu claire de la COMCOcrée une réelle incertitude, dont les marques se seraient bien passées. Pour la FH, il est en effet essentiel que ces dernières puissent trouver les mouvements dont elles ont besoin.» Or, alors que l’horlogerie suisse fait déjà face à une baisse importante en termes de volume de montres exportées (voir ci-contre), la mesure de la COMCOrisque fort de renforcer cette tendance, note le président de la FH.

Qui plus est, cela risque aussi de porter atteinte au label Swiss made. Il s’étonne également du timing de la décision de la COMCO, à quelques jours de la fin de l’année. De quoi sérieusement perturber les marques qui doivent anticiper et planifier leur production. Et même si les mesures provisionnelles ne concernent officiellement pas les PME, Jean-Daniel Pascheestime qu’à court terme, ce sont principalement les petites sociétés qui risquent de souffrir. Or, au vu de la situation actuelle de l’horlogerie, qui n’est déjà pas facile, la décision de la COMCO, de par les incertitudes qu’elle soulève, risque fort de les déstabiliser.

Pour Jean-Daniel Pasche, la décision de la COMCO est d’autant plus surprenante qu’à l’heure actuelle, si ETAne peut plus livrer de calibres, la production des autres manufactures de mouvements est apparemment insuffisante pour couvrir les besoins du marché, à en croire nombre d’acteurs du marché. «On attend de la COMCOqu’elle veille au bon fonctionnement du marché, avec une concurrence qui fonctionne de façon harmonieuse et prévisible pour les entreprises. En l’occurrence, cette décision crée la confusion.»

Hong Kong pèse sur les exportations

Les exportations horlogères suisses ont passé sous la barre des 2 milliards de francs, en novembre en raison notamment de l’effondrement des envois vers Hong Kong. Les volumes ont à nouveau plongé. Le repli est de 3,5% par rapport à novembre 2018, a indiqué hier la FH. L’ancienne colonie britannique a enregistré une chute de 26,7%, après -29,7% en octobre. Depuis le début de l’année, le recul y a atteint 10,6% par rapport à la même période en 2018.

Le mois dernier, le Royaume-Uni (-17,3%), la France (-17,4%) ou les Emirats arabes unis (-27,8%) ont également tiré les chiffres vers le bas. La Chine s’est elle aussi rétractée (-5,5%). En revanche, les Etats-Unis (+4,6%) et le Japon (+7,8%) ont progressé. Quant au nombre de pièces, il a plongé de plus de 16%.