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Histoire

Le combattant de «l’armée des ombres»

Le régime nazi a persécuté et assassiné des millions de personnes, dont près de 400 Helvètes. Parmi eux, Jules Armand Mottet. Portrait d’un résistant suisse, déporté et torturé.

Le groupe Cohors-Asturies, après la libération en 1944. Le nom de MOTTET figure sur la plaque (LDD).

Par Théophile Bloudanis

Un soir de 1943, dans la région de Valenciennes et Raismes en pleine France occupée, deux résistants attendent, sur un pont, le passage d’un train d’essence allemand. L’un d’eux est Suisse. Il s’appelle Jules Armand Mottet, originaire d’Orvin, dans le Jura bernois. Lorsque le convoi passe, les deux acolytes lancent une bombe incendiaire qui fait exploser le train, avant de s’évaporer dans la nuit.

Cet événement, relaté par l’historienne de la Résistance, Marie Granet, dans son livre «Cohors-Asturies: Histoire d’un réseau de Résistance, 1942-1944», est l’une des nombreuses missions qu'à accomplies notre compatriote, dans les rangs de ce groupe du nord de la France. Jusqu’à la funeste nuit du 1er au 2 décembre 1943. Des soldats allemands investissent le domicile du Suisse, après une dénonciation à la Gestapo. Commence alors une véritable odyssée pour cet Orvinois, Chef d’atelier à la Société franco-belge de matériel de chemins de fer, à Raismes.

Condamné à mort

Né le 9 septembre 1895 à Orvin, Jules Armand Mottet intègre le Progymnase français de Bienne, qu’il termine en 1912. Les archives, que nous avons pu consulter à Berne, indiquent qu’il a entrepris une formation dans un domaine technique, avant de quitter la Suisse pour la France, probablement au début des années 1920, son premier fils, Albert, étant né à Mulhouse en 1922. Sept ans plus tard, il est employé dans la Société franco-belge de matériel de chemins de fer, à Raismes, en qualité de chef d’atelier.

Les circonstances de son intégration dans la Résistance ne sont pas mentionnées dans les archives disponibles. En février 1943 cependant, son fils Albert meurt après sa libération d’un camp de concentration. Son père écrit en avril 1963, dans une lettre adressée au consul de Suisse à Dijon: «mon fils a été arrêté au moment où il tentait de franchir la ligne de démarcation de la zone occupée, pour gagner soit la Suisse soit un autre territoire échappant encore au contrôle des Allemands, étant donné qu’il tombait sous le coup des lois racistes, ma femme étant israélite.» Déporté à 19 ans dans un Kommando près d’Auschwitz, il est libéré par la Croix-Rouge, «qui l’avait trouvé squelettique, atteint de tuberculose caverneuse. Il était un véritable cadavre ambulant au moment de son retour et devait décéder le 17 février 1943», ajoute Armand Mottet dans sa missive.

Après ses actions dans le «maquis» et son arrestation en décembre 1943, il est inculpé d’espionnage, de diffusion de tracts gaullistes et d’affiliation à l’organisation de Résistance «Libération» puis condamné à mort en janvier 1944. Sa peine est cependant commuée à 15 ans de travaux forcés, après l’intervention diplomatique de la Suisse, comme en témoignent les nombreux échanges de lettres entre Berne et les ambassades et consulats helvétiques en Allemagne et en France occupée. Il est incarcéré à la Gestapo à Paris, où il est soumis à des interrogatoires et la torture, puis transféré le 2 février à Berlin. Là-bas, il aurait été interrogé par Ernst Kaltenbrunner, chef du tristement connu RSHA, service de renseignement de la SS. Il est ensuite successivement envoyé dans les camps de Flossenburg et de Dachau, avant d’être déplacé à Innsbruck et enfin, Villabassa, dans le Tyrol. Son calvaire prend fin le 1er mai 1945, date à laquelle il est libéré par les GI’s américains, puis rapatrié en France par avion.

Un ouvrage nécessaire

Cette histoire serait restée dans les sous-sols des Archives fédérales à Berne, sans la récente parution en français du livre «Les victimes oubliées du 3e Reich. Les déportés suisses dans les camps nazis», aux Editions Alphil. Cette œuvre, signée par les journalistes Benno Tuchschmid, René Staubli et l’historien Balz Spörri, se penche sur les destinées de nos concitoyens, ayant été persécutées et déportées par le régime nazi. 473 de ces 749 personnes sont mortes dans les camps.

«C’est un ouvrage indispensable, permettant au lecteur de se rendre compte du fonctionnement du système concentrationnaire d’une part et des atrocités commises aussi sur des Suisses de l’étranger, d’autre part», commente Marc Perrenoud, historien et ancien conseiller scientifique de la «Commission Bergier», qui a également préfacé ce livre. «Il contribue à casser le mythe du pays protégé comme une île au milieu de l’Europe», explique-t-il.

En plus de présenter le contexte historique de la Seconde Guerre mondiale et les destins d’une dizaine de résistants et de juifs suisses déportés, il dresse une liste, qualifiée de mémorial, des centaines de personnes d’origine ou de nationalité suisse, poursuivies par les nazis. Jules Armand Mottet en fait ainsi partie. «Les résistants Helvètes ont passablement été oubliés après la guerre», précise l’historien. «L’attitude de la Confédération après 1945 a été celle de ne pas reconnaître officiellement ceux qui se sont battus en France occupée, en invoquant son rôle de pays neutre.»

Dans une brève «Chronique locale», de l’édition du JdJ du 14 août 1947, il est indiqué qu’Armand Mottet, originaire d’Orvin, a été décoré de la Médaille de la Résistance, de la Médaille militaire et de la Croix de Guerre avec citation, pour son courage et son héroïsme au service de la France. Ce combattant de «l’armée des ombres», à l’image du chef-d’œuvre de Joseph Kessel, va garder de nombreuses séquelles après la guerre et sera reconnu invalide à 100%. Indemnisé dans les années 1950 par la Suisse, il devient maire de la commune française de Messon, non loin de Troyes. Jules Armand Mottet, résistant déporté, originaire d’Orvin dans le Jura bernois, s’éteint en décembre 1983, à l’âge de 88 ans.

 

Une Suisse «neutre»

Dans une notice du dossier d’Armand Mottet, que nous avons pu consulter aux Archives fédérales, l’Orvinois a exprimé l’avis qu’il devait être donné une certaine publicité de la part des autorités, sur les agissements des Helvètes engagés dans la Résistance. Il lui a été répondu qu’il n’était pas possible de le faire du fait que ces attitudes étaient contraires «aux traditionnels principes de neutralité du pays.» «C’est une remarque caractéristique», note Marc Perrenoud. «Les crimes nazis ont aussi été banalisés, en étant mis sur le même plan que les actions de la Résistance française, une façon de déplacer hors de Suisse les effets du 3e Reich. Comme si le pays n’était pas impliqué par ce qui a ravagé l’Europe. Les souvenirs et traumatismes restent confinés aux familles des victimes», développe l’historien, également dans la préface du livre. Près de 460 Suisses ont rejoint les rangs de la Résistance tout au long de la guerre, alors que 1300 se sont engagés du côté de la Wehrmacht, dont 1000 dans la SS. TBL

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