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Bienne

Saveurs du chef

Jean-Marc Soldati, cuisinier étoilé de Sonceboz, a accepté de relever un important défi: assurer, durant trois jours, la préparation des repas pour les patients et les collaborateurs du Centre hospitalier de Bienne.

Jean-Marc Soldati (au centre, avec les lunettes) a non seulement élaboré les menus, mais il a également assuré le service du midi pour les collaborateurs du CHB. Marco Zanoni

Julie Gaudio

 

En ce mercredi 2 février à 10h, il règne une agitation joyeuse dans les cuisines du Centre hospitalier de Bienne (CHB). Dans 40 minutes exactement, les plateaux doivent être dressés à destination des chambres des patients. En parallèle, les cuisiniers préparent les repas pour les centaines de collaborateurs du CHB, sous l’œil avisé du responsable Jean-Pierre Pin. 


Outre le timing serré, la présence d’un chef renommé de la région motive l’équipe. Jean-Marc Soldati, à la tête de l’Hôtel-restaurant du Cerf à Sonceboz – 16/20 au Gault & Millau et une étoile au Guide Michelin – surveille attentivement la préparation de ses menus, en prodiguant quelques conseils sur les taillages ou les cuissons des aliments.


Une autre logistique


Le chef de Sonceboz a pris ses quartiers dans les cuisines du CHB pour trois jours, à l’invitation du médecin-chef en médecine interne Daniel Genné. «J’ai tout de suite accepté, car je trouve que l’alimentation est très importante dans la vie. Une bonne cuisine goûteuse et variée aide à la réhabilitation des malades, mais aussi au bien-être de tout le monde», affirme Jean-Marc Soldati. 


Une manière aussi de redorer le blason de la cuisine d’hôpital, souvent réputée peu savoureuse? «Elle a connu une énorme évolution ces dernières années, avec beaucoup de remises en question», défend le chef étoilé.


Cuisinant habituellement pour 25 à 30 couverts par repas sur réservation, Jean-Marc Soldati a accepté de relever cet important défi «pour le personnel hospitalier qui a mouillé sa chemise ces dernières années». Si, dans son restaurant, il sert sur assiette, il a dû réfléchir à préparer ses quelque 300 menus en mode cantine. Et ce, sans savoir exactement combien de collaborateurs du CHB se précipiteraient au restaurant à midi pour les déguster. «La logistique est totalement différente. Je suis stupéfait de l’organisation qu’implique la préparation des repas dans un hôpital», relève Jean-Marc Soldati, avec admiration. 


Maîtriser les cuissons


Le défi le plus important pour le chef se situe dans le service des menus à destination des patients. Celui-ci obéit à un ballet savamment millimétré: les plateaux défilent sur un tapis roulant et sont remplis par une armada de cuisiniers disposés le long. Un sert la viande, l’autre les pâtes, et ainsi de suite, en fonction des souhaits et maladies de chacun. Au bout de la chaîne, un cuisinier surveille attentivement le dressage des plats, et ajoute quelques éléments finaux, comme des herbes fraîches. Les plateaux sont ensuite envoyés dans les différents services de l’hôpital, et servis chauds entre 30 et 40 minutes après leur dressage.

N’étant pas formé à la diététique, Jean-Marc Soldati n’a pas composé tous les repas spéciaux des patients. Prévenus au préalable, certains ont opté pour les menus du chef étoilé. «Difficile de maîtriser les cuissons dans ces cas-là, notamment celle de l’omble chevalier, servi mi-cuit», détaille Jean-Marc Soldati. En cuisinier avisé, le chef a enjambé la difficulté de la manière suivante:«Légèrement cuit au départ – 30°C à cœur –, le poisson continue sa cuisson sur assiette, grâce à un système d’induction.»


11h20. Dans le restaurant Beau Moment du CHB, les premiers collaborateurs arrivent. Sous la présentation des trois menus, ils découvrent en vitrine des assiettes dressées pour se faire une idée de ce qui les attend.


Textes et visuels réveillent les papilles: soupe de potiron au gingembre frit et petits croûtons de pain; poitrine de volaille roulée farcie aux champignons shiitaké et épinards d’hiver avec une sauce au vin rouge corsée; filet d’omble en manteau d’herbes pochées au velouté de vin blanc et ciboulette attachée avec du beurre blanc ou terrine de tofu coloré enrobé de noisettes. 


Sans oublier les accompagnements: symphonie de légumes sautés avec carottes, panais, choux-raves et feuilles de choux de Bruxelles avec du beurre calcifié; gratin de pommes de terre; riz basmati ou petits dés de légumes glacés. A la fin est servi un crumble au chocolat avec mousse au chocolat blanc, accompagné d’une gelée de caramel saupoudré d’éclats de noix grillées, afin de terminer sur une note sucrée.


Gourmets satisfaits


A en croire les plateaux laissés complètement vides, les menus semblent avoir été appréciés. «C’était délicieux», confirme Antoine Oesch, médecin adjoint en chirurgie. «Le gratin était très fondant, la viande parfaitement cuite et la sauce bien relevée», énumère-t-il. Et son collègue, Boris Schiltz, de renchérir en souriant:«Cela change de la routine!»


Habitué du restaurant, Antoine Oesch tient tout de même à préciser:«La cuisine que l’on nous propose demeure très bonne. Mais là, on sent qu’il y a un petit quelque chose en plus, que les menus ont été davantage réfléchis.»


Son dessert à peine avalé, Boris Schiltz promet déjà qu’il reviendra aujourd’hui et demain au restaurant, pour goûter les deux autres menus. «Je ne serai malheureusement pas là vendredi», soupire Antoine Oesch. Quoi qu’il en soit, tous deux applaudissent cette initiative, et espèrent qu’elle sera reconduite. «J’ai travaillé dans plusieurs hôpitaux publics ces dernières années, mais je n’ai jamais rien vu de tel en Suisse», salue Boris Schiltz.


En cuisine, on relève également les aspects positifs d’une telle expérience. «La venue de Jean-Marc Soldati inspire toute l’équipe. C’est un plaisir de profiter d’un grand chef pour apprendre quelques astuces», sourit Nicola Matteo Tschenett, responsable gastronomie du CHB. Il ne cache pas que certaines recettes pourraient être reproduites à l’avenir, de même que l’accueil d’un cuisinier étoilé. «La Suisse dispose de beaucoup de bons chefs, et leur venue serait enrichissante pour tous», estime-t-il. Avis partagé par Jean-Marc Soldati, qui considère que cette expérience lui a «ouvert les yeux» sur la cuisine en milieu hospitalier. «Après mes quelques jours passés au CHB, je réfute toute mauvaise critique contre celle-ci», conclut le chef étoilé. 


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