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Votation cantonale

Contresens pour le projet de taxe verte

Le peuple bernois a refusé à 53% d’alourdir la note pour les personnes possédant un véhicule plus lourd et polluant.

Dans un canton aussi rural que vallonné, la population bernoise tient à la mobilité individuelle. Keystone

Par Dan Steiner

Arrondissement de Berne-Mittelland mis à part, seule la population de neuf communes bernoise s’est dit qu’il serait de bon ton de faire payer davantage les personnes qui roulent un véhicule parmi les plus polluants. La révision de la loi sur l’imposition des véhicules à moteur prévoyait de faire passer la taxe sur le poids des voitures de tourisme de dégressif à linéaire ainsi que d’y ajouter un nouveau barème selon les rejets de CO2. La contrepartie? Une baisse d’impôt pour les personnes physiques.

Dans quatre des dix divisions administratives cantonales, cependant – Frutigen - Bas Simmental, Haut-Simmental - Gessenay, Haute-Argovie et Interlaken-Oberhasli –, on ne trouve toutefois aucune localité à avoir accepté cet objet. Avec la capitale et son agglomération, on ne monte toutefois qu’à 31 communes sur les 338 (47% de oui pour une participation de 44,5%) que compte le territoire de l’Ours.

A la Berne fédérale d’agir?
Une fois encore, le fossé entre villes, où il est bien plus facile de se déplacer en transports publics, et campagnes, dans un Etat passablement vallonné, a contribué à façonner l’avance du non. «Faire payer», c’est à coup plus ou moins sûr ce qui a fait pencher la balance. Parole d’écologiste. «Je suis également antitaxes», assure la députée Verte tramelote Moussia de Watteville. «C’est effectivement dommage, cette tendance à taper sur le dernier maillon de la chaîne, qui est également le moins protégé. Certaines connaissances qui votent d’habitude dans le même sens que moi ont aussi dit stop: ‹On a déjà failli perdre nos jobs à cause la crise, on ne veut pas payer pour cela en plus!›»

Pour elle, membre du comité du oui, la balle est plutôt dans le camp de la... Confédération. «C’est à elle, par exemple, d’interdire les classes énergétiquesF ou G. On ne veut plus de ces chars d’assaut sur nos routes, mais on l’a vu avec la loi bernoise sur l’énergie ou suisse sur le CO2 (réd: refusées en février 2019, respectivement en juin dernier), il faut trouver d’autres manières d’agir et pistes de réflexion. Et taper sur d’autres personnes», soupire l’élue au Grand Conseil. Un Législatif qui avait d’ailleurs plébiscité cette révision de loi par 101 oui contre 43.

Avec l’aide, notamment, de l’Union des contribuables lors de la récolte de signature pour ce référendum, l’UDC a fait cavalier seul. Elle avait certainement davantage de chevaux dans son moteur. «J’avoue que ce résultat est une demi-surprise pour moi», note le Curgismondain Etienne Klopfenstein, pour sa part membre du comité du non. «Je suis même impressionné. Or malgré ce soutien de seulement 30% au Grand Conseil, on a vu que le peuple n’a pas suivi ses élus, sauf l’UDC», poursuit à chaud le député agrarien.

Mauvais chemin
De manière plus analytique, il constate qu’au moment où le cénacle bernois a pondu cette révision législative et fiscale, «on se trouvait dans une phase de changement, où tout le monde voulait paraître un peu plus vert et écolo». L’agriculteur de profession relève son attachement à la nature, mais juge que le chemin pour parvenir à une solution moins polluante n’était pas le bon.

Un avis que n’est pas loin de partager Moussia de Watteville. «L’UDC a notamment avancé l’argument que les citadins recevraient même de l’argent, avec cette révision, ce qui était pour elle doublement injuste.» Celles et ceux qui n’ont pas de gros véhicules n’auraient pas été frappés par cette taxe et aurait en plus bénéficié d’une ristourne fiscale. «Encore, si ces 40 millions de recettes avaient été allouées au développement, par exemple, de bornes pour les voitures électriques... Cumuler ces deux thématiques était quelque peu bancal.»

A la base, Les Verts n’en voulaient d’ailleurs pas, eux qui préféraient davantage d’efforts écologiques. Même s’ils auraient pris cette petite victoire d’étape. Et Etienne Klopfenstein d’ajouter que ce compromis politique sur lequel votait le peuple bernois était un peu difficile à comprendre. «Ces 40 millions de recettes n’étaient même pas destinés à l’écologie. Cette révision n’aurait rien apporté.»

Pas d’interdiction des chauffages à mazout ni des pétrolettes. Que faire, donc, pour décarboner? L’élue Verte cite pêle-mêle le domaine des bâtiments, de la mobilité, avec notamment une accessibilité améliorée aux transports en commun dans les régions périphériques, de la biodiversité. Mais à l’aide d’incitations, non plus de taxes. Dans un canton rural comme celui de Berne, cela semble un bon point de départ.

Près de 90% de oui à La Scheulte
Pour finir, notons simplement que les six plus grandes communes ont accepté cette révision, avec notamment les 31'655 suffrages favorables des Bernoises et Bernois de la ville ou encore 6523 à Bienne. Ce qui ne s’est toutefois pas révélé suffisant.

Outre la population de la cité seelandaise, celle d’Evilard-Macolin a aussi penché pour le oui, comme à Nidau, Cerlier, LaNeuveville ou de... La Scheulte. A 88% pour cette dernière, record de la journée. Selon la Chancellerie cantonale, alors que l’administration de la commune n’était pas atteignable, ce résultat, étonnant, est tout à fait plausible. On rappellera à ce titre qu’elle ne compte qu’une quarantaine d’habitants, mais 74ayants droit. En partie à l’étranger. Ceci pourrait expliquer cela.

L'édito

Il faut savoir donner pour recevoir
Bien sûr que cette révision n’allait pas faire freiner des quatre fers la population des villes bernoises. Les six premières du grand canton rural et vallonné ont dit oui à la taxe sur le rejet de CO2 des voitures de tourisme proposée par les autorités. Une facture qui se serait ajoutée à celle déjà prévue en fonction du poids de son engin.

Adoubée par le Grand Conseil à une majorité de 70%, cette proposition a été attaquée par l’UDC et les pro-voiture. Malgré l’édulcorant d’une baisse d’impôt compensatoire rendue possible grâce aux recettes prévues, elle est allée droit dans le décor. Il y a pile deux ans, Bernoises et Bernois avaient déjà dit «pas touche à mon chauffage à mazout» quand il s’était agi de se prononcer sur la loi cantonale sur l’énergie. S’attaquer à leur bagnole promettait la même sortie de route. Ce qui n’a pas manqué.

Ce résultat, davantage conforme à la configuration démographique de l’Etat de Berne qu’à la représentativité du Parlement, a le mérite de donner une réponse, même s’il pose une autre question. Ainsi, on est désormais sûrs qu’effleurer l’idée de toucher au crapaud des gens n’est pas la voie à emprunter pour entamer un virage vert comme le sont de plus en plus nos montagnes en hiver. Il faut plutôt donner que prendre, pour recevoir. On se demande toutefois si la crise sanitaire, par là même les difficultés financières dans lesquelles sont tombées certaines personnes, a contribué à sceller le sort de ce scrutin.

Il en faudra encore, des déluges comme celui du 23 juin 2021, pour que les populations touchées dans leurs biens et dans leur chair par les aléas climatiques se résolvent à considérer les investissements de base comme une économie, à long terme. Et même, on pourra toujours les mettre sur le compte de simples soubresauts météorologiques.

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