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Histoire

Des faux et des experts qui n’y voient que du feu

L’automne passé, Jean-Jacques Fiechter et Denis Ramseyer ont publié une incroyable histoire anglaise de faussaires d’œuvres d’art historiques de premier plan.

«Le faune», une oeuvre falsifiée attribuée à Paul Gauguin. Photo:LDD

par Bernard Schindler

En novembre dernier, aux Editions Infolio, de Gollion, village au sud de Cossonay, Jean-Jacques Fiechter et Denis Ramseyer ont publié «Mystérieux faussaires de Bolton». L’opuscule d’une centaine de pages raconte une épopée réelle située à Bolton, banlieue nord-ouest de Manchester, où, pendant près de 20ans, la famille Greenhalgh a produit et vendu plus de 120faux.
Des œuvres d’art balayant l’histoire, depuis les Sumériens de Mésopotamie, en passant par les Romains envahisseurs de l’Angleterre, les peintres du 19esiècle britannique jusqu’à une sculpture censée être la création du postimpressionniste français Paul Gauguin (1848-1903), décédé aux Iles Marquises. Le premier étonnement passé quant aux auteurs et au sujet, on découvre une cascade de hasards, bienheureux vu la qualité de l’écrit résultant (lire aussi ci-contre).

D’étranges faussaires
Le récit des aventures prend la forme d’une confession du père de famille, George Greenhalgh. Habile menteur, il ira jusqu’à s’inventer un arbre généalogique flatteur. Il a entraîné dans son sillage son épouse, Olive, et deux de leurs six garçons. George Jr., qui ne s’occupera que de la comptabilité, et Shaun, le plus jeune, qui est l’artiste faussaire de génie mais qui, malgré de grands efforts, n’a jamais trouvé son style personnel.
Les œuvres à reproduire sont tirées de la littérature spécialisée et des catalogues de grandes expositions. Le père joue le provincial naïf en présentant les objets comme des trouvailles dues au hasard, dont il ne connaît pas la vraie valeur. Un premier grand coup, un plat en argent de l’époque romaine, est soigné jusqu’à la fabrication d’un alliage «romain», qui trompera les meilleurs experts anglais. Les faux comprennent aussi des peintures à pigments anciens, sur des toiles d’époque et des sculptures. Il y a des fausses copies fidèles d’œuvres disparues mais répertoriées, et, encore plus fort, des faux «à la manière de...», comme «La belle princesse» de la couverture du livre. Ou, au sommet, une sculpture égyptienne d’une princesse, fille d’Akhenaton et Nefertiti, au corps drapé d’un fin voile, sans tête, ni bras, ni jambes, comme les statues détruites par les successeurs du pharaon. Un chef-d’œuvre qui, une fois de plus, trompa les meilleurs experts.
La situation s’est toutefois détériorée quand le père, George, est devenu trop âgé, contraint à la chaise roulante. Shaun a bien tenté les démarches de vente mais s’est fait piéger. Scotland Yard a enquêté. En 2007, le tribunal a condamné le père à quatre ans de prison avec sursis, du fait de son âge et état de santé; Shaun a reçu la même peine et a été libéré après deux ans du fait des prisons anglaises surchargées. La condamnation légère a été facilitée par le remboursement d’une somme importante venant de différents musées, placée en banque par George Jr.
Le plus surprenant reste le comportement de la famille pendant la période faste de ses ventes à des musées et, beaucoup, à des collectionneurs privés. Rien n’a changé dans leur mode de vie, à Bolton, Crescent Road, quartier populaire, où Shaun a toujours travaillé dans un cabanon au fond du jardin et roulé avec la petite voiture de famille. Il parle du «piment stimulant d’être découvert, qui m’oblige à me dépasser. Avec, en prime, quand on réussit à tromper des experts prétentieux, l’incroyable jouissance de se sentir comme des dieux». Tout est là, très simple!

 

Les Auteurs
Par héritage familial, Jean-Jacques Fiechter (lire LeJdJ du 1ermai2021) est devenu directeur de la manufacture Blancpain, renommée Rayville, à Villeret, de 1950 à 1980. De son enfance, à Alexandrie, il a gardé un intérêt marqué pour l’antiquité des pharaons. Il s’intéresse aux faux de l’art égyptien. Amateur de plongée sous-marine sur les épaves anciennes de la Méditerranée, il a rencontré le commandant Jacques-Yves Cousteau, et il en est ressorti la première montre étanche à 60m, signée Blancpain. Alerté par l’autobiographie de Shaun Greenhalgh, l’horloger retraité a interviewé l’auteur à Bolton, et ses notes ont servi au long récit où George, le père de Shaun, raconte la saga de la famille faussaire à la première personne du singulier.
Autre hasard, Jean-Jacques Fiechter est un petit-cousin de la famille Ramseyer de LaNeuveville. Presque trentenaire, il figure sur une photo de famille où, le plus jeune, Denis, n’a que quatreans. Ce dernier terminera sa carrière d’archéologue comme directeur adjoint au Latenium, où il fut chargé en2010/2011 de préparer une exposition. «L’âge du faux» est ainsi vouée entre autres aux imitations regravées d’objets lacustres d’un hôtelier d’Estavayer, en faillite au milieu du 19esiècle. En 2009, Jean-Jacques Fiechter avait publié un volume épais, «Faussaires d’Egypte». Denis Ramseyer prendra contact et garnira une vitrine entière avec les objets collectés par son cousin. De ces retrouvailles est née, tout naturellement, la collaboration dans l’écriture des «Mystérieux faussaires de Bolton».

 

 

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