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Deux Thaïs au pays du gruyère d’alpage

Des spécialistes des éléphants ont apprécié le bon fromage de chez nous.

Les deux biologistes thaïlandais ont pu déguster du gruyère d’alpage à la métairie du Bois-Raiguel. (Blaise Droz)

Blaise Droz

L’un s’appelle Manoon et l’autre Tongbai, deux prénoms que l’on n’entend pas souvent prononcer dans nos vallées et sur nos crêtes. Ces deux biologistes thaïlandais ont pourtant foulé le sol du Jura bernois au début de ce mois de juin afin d’y découvrir quelques aspects de notre région karstique (source de la Birse, dolines, traces de dinosaures et pour finir un mystérieux bloc erratique). Ils ont éprouvé un énorme plaisir à observer la vie des montagnards d’ici et la fabrication artisanale de gruyère d’alpage à la métairie de Bois Raiguel.

Spécialistes des éléphants

C’est à l’invitation du zoo de Zurich qui vient tout juste d’inaugurer son nouveau parc à éléphants, que ces deux jeunes gens ont effectué un bref séjour en Suisse. Le nouveau lieu de vie du zoo où d’ailleurs un éléphanteau vient tout juste de naître, s’appelle Kaeng Krachan du nom du parc national thaïlandais où le zoo sponsorise des travaux visant à diminuer tant que faire se peut le conflit entre hommes et éléphants. Manoon et Tongbai sont les deux principaux interlocuteurs du zoo dans la région du Kaeng Krachan. Le premier est responsable de l’ONG Wildlife conservation society (WCS) dans tout le parc. Quant au second, il est l’homme de terrain qui pilote l’antenne HEC (Human elephant conflict) située tout au sud du grand parc naturel placé sous la protection de l’Etat thaïlandais. C’est peu dire qu’ils ont du travail plein les bras pour imaginer et mettre en œuvre les moyens de protéger les plantations d’ananas et autres fruits contre les incursions nocturnes des éléphants, d’inciter les villageois à ne pas nourrir les animaux sauvages et d’éduquer la jeunesse afin que les erreurs du passé ne se répètent plus. Trop d’éléphants sont encore tués par balle ou par électrocution et il arrive, heureusement très rarement, qu’un éléphant fâché tue un humain. Le sud du parc du Kaeng Krachan comporte une plaine cultivée enclavée entre des montagnes où vivent les éléphants. Les plantations doivent être protégées par des barrières dont la rupture active des alarmes sonores. Ces installations sont coûteuses et compliquées à mettre en place.

Parmi les solutions permettant de minimiser les conflits, celle de choisir l’élevage bovin en lieu et place de plantations est l’une des plus prometteuses. Du coup, lorsqu’ils se rendent dans le territoire des éléphants, les biologistes traversent de vastes prairies et pâturages où paissent des troupeaux de vaches toutes pareilles aux nôtres.

Contrairement à la plupart des pays d’Extrême Orient, la Thaïlande consomme relativement beaucoup de lait. La raison en est simple, le roi Bhumipol a passé son enfance et sa jeunesse en Suisse. Quant il était écolier, il recevait comme tous les petits Suisses de son âge, la fameuse bouteille de lait distribuée chaque jour dans toutes les écoles du pays. Lorsqu’il a pris possession de son trône à Bangkok, le monarque a tenu à instaurer une tradition similaire dans le Royaume, à en croire «Le roi Bhumibol» qui vient de paraître aux éditions Slatkine. Du coup, nos deux amis (le soussigné les a rencontrés deux années consécutives dans le Kaeng Krachan) ne sont pas dépaysés le moins du monde à la vue de vaches aux tétines bien dodues.

Au pays du fromage

Le fromage en revanche, c’est une autre affaire. Dans les grandes surfaces de Thaïlande, on trouve du fromage fondu, parfois du cheddar néo-zélandais, d’autres fois même du bleu danois. S’il y a du fromage suisse, c’est en toutes petites portions mal présentées. Les clients qui passent sans se bousculer devant ces étals sont presque tous des expatriés, c’est dire si pour les Thaïs, un voyage au pays du fromage est une expédition totalement exotique.

Dans la région de Montbautier puis au Bois Raiguel, les deux compères ont d’abord apprécié l’air pur de la montagne. Ils l’ont dit à réitérées reprises, attestant de l’importance qu’ ils accordaient à ce qui est simplement banal pour nous. Invités à visiter la cave de la fromagerie d’alpage, ils se sont bien vite habitués à l’odeur forte des meules généreuses qui mûrissaient là.

Quant à la dégustation, elle avait débuté le matin tôt avec quelques belles girolles de tête de moine de Villeret. Les deux biologistes n’ont pas boudé leur plaisir de déguster un fromage champion du monde! Plus tard, au moment de s’asseoir autour d’une fondue de gruyère d’alpage, leurs dernières craintes s’étaient estompées et ils ont fait honneur au met avec un réel enthousiasme. L’instant d’après, ils herborisaient dans les prés et se faisaient volontairement piquer par des orties, des plantes totalement inattendues pour ces biologistes nés sous les tropiques.

Moins paisibles que des vaches, les éléphants

pachydermes La situation que vivent Tongbai et Manoon dans leur travail est très paradoxale. Ils doivent faire preuve de diplomatie quand des cultivateurs excédés annoncent de lourds dégâts dans leurs plantations d’ananas, mangues, papayes ou bananes et s’efforcer de les convaincre d’installer des systèmes d’alarme appropriés dont ils sont des spécialistes. De l’autre côté, ils doivent gronder un peu les habitants de l’enclave agricole lorsque ces derniers utilisent leurs surplus pour nourrir illégalement les éléphants. Il y a même un restaurateur qui distribue systématiquement de la nourriture aux éléphants devant sa terrasse pour attirer la clientèle. Ce faisant, il néglige totalement le risque que ses clients soient agressés par ces géants apeurés lorsqu’ils retournent à leurs véhicules.

Au bord de la route qui conduit de l’enclave agricole du sud du Kaeng Krachan à la ville de Hua Hin, plusieurs éléphants ont pris l’habitude de quémander de la nourriture à chaque véhicule qui passe. Ce sont pourtant des animaux parfaitement sauvages dont les réactions peuvent être vives. Il est vrai que certains d’entre eux ont un comportement presque amical, mais d’autres sont de vrais bandits de grands chemins qui cherchent à immobiliser les véhicules dont les conducteurs paniquent et perdent tous leurs moyens. Tongbai, l’homme de terrain connaît pour ainsi dire chaque éléphant individuellement. Jamais il ne les nourrit, mais il leur parle d’un ton doux et ferme quand il faut les calmer ou détourner leur attention des autres véhicules.

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