Vous êtes ici

Abo

Horlogerie

«Difficile d’en évaluer les conséquences»

Comme l’ensemble de l’économie, l’industrie de la montre est lourdement pénalisée par la crise du coronavirus. En mars, les exportations ont reculé de presque 22%, et la situation risque de se prolonger. Le point avec Jean-Daniel Pasche, président de la Fédération de l’industrie horlogère suisse.

Le coronavirus a contraint de nombreuses entreprises à réduire, voire à stopper temporairement leur production. Archives Stéphane Gerber

 

Par Philippe Oudot

Depuis deux mois, bon nombre d’entreprises horlogères ont fortement réduit leur production, voire l’ont totalement stoppée. La faute au coronavirus. Plusieurs d’entre elles ont repris le travail depuis quelques jours, mais de façon lente et progressive. Comme l’ensemble de l’économie, l’industrie de la montre a donc été fortement impactée par la crise sans précédent provoquée par la pandémie.

Un impact qui se mesure directement au niveau des exportations horlogères, comme le montrent les statistiques que vient de publier la Fédération de l’industrie horlogère suisse (FH). Après un bon mois de janvier (+9,7%), elles se sont en effet contractées en février (-9,2%) avant de s’effondrer en mars, à -21,9%. Et s’il faudra attendre la fin du mois pour avoir les chiffres d’avril, les perspectives sont des plus sombres: la FHs’attend en effet à une nouvelle dégradation.

L’industrie du luxe, et donc l’horlogerie, serait-elle plus touchée que le reste de l’économie? «Non, je n’ai pas cette impression. Notre branche est certes lourdement affectée, mais c’est également le cas pour l’industrie des machines ou le tourisme», observe Jean-Daniel Pasche, président de la FH.

Et de rappeler que la baisse dans ce secteur a un impact direct sur l’horlogerie, nombre de vacanciers profitant de leur voyage pour acquérir un garde-temps. Que ce soit dans les boutiques et bijouteries, ou dans les magasins «duty free» des aéroports.

Pas d’exception
Jean-Daniel Pasche note par ailleurs qu’en période difficile, contrairement à une idée reçue, le secteur du luxe ne fait pas exception. En témoigne le fort recul des exportations horlogères enregistré lors de la crise financière des subprimes de 2008. «La montre étant un produit de luxe, le consommateur se rabat sur d’autres biens, des produits moins chers, ou reporte son achat dans le temps», explique notre interlocuteur.

Et si certaines plateformes d’e-commerce ont vu leurs ventes exploser en cette période de confinement, ce n’est qu’une alternative très partielle à la distribution physique pour les produits horlogers. La vente en ligne s’est certes bien développée ces dernières années, même dans le haut de gamme, mais en période de crise, le consommateur a d’autres priorités d’achats. De plus, contrairement à d’autres biens, la montre est un produit émotionnel que le client veut pouvoir toucher. «Dans notre branche, observe Jean-Daniel Pasche, l’e-commerce va certainement encore se développer, mais ne supplantera pas l’achat en boutique. En fait, certains consommateurs font leur sélection en ligne et viennent découvrir et acheter la montre de leur rêve en boutique, alors que d’autres font le contraire. Ce sont donc deux approches complémentaires.»

Rien de comparable
La crise actuelle n’est évidemment pas la première que vit l’industrie horlogère, mais pour notre interlocuteur, elle n’est pas comparable aux précédentes. Celle de 2008 avait certes été violente, mais de courte durée et les exportations étaient vite reparties à la hausse. Dans les années 1970-80, l’horlogerie souffrait avant tout d’une crise structurelle, aggravée par une récession conjoncturelle. «Aujourd’hui, nous avons affaire à une crise multiple d’origine sanitaire dont il est très difficile d’évaluer les conséquences. Ce n’est donc pas un problème horloger», analyse Jean-Daniel Pasche.

Quid de l’avenir?
Dans conditions, la FHa élaboré deux scénarios concernant l’évolution du marché en 2020. Le premier imagine une crise de courte durée, avec une reprise assez rapide. Une hypothèse basée sur le redémarrage qui semble s’opérer en Chine où, après deux mois, les exportations horlogères suisses sont reparties à la hausse. De manière générale, tous les espoirs des acteurs de l’industrie du luxe reposent sur les épaules des Chinois. Le second scénario postule un retour à la normale beaucoup plus lent. En économie, on parle de reprise en V (rapide), en U (un peu plus lente) ou en L.

De nature plutôt optimiste, Jean-Daniel Pasche reste toutefois prudent et se garde bien de tout pronostic. Ce qui paraît sûr, c’est que le rebond ne sera sans doute pas aussi marqué que la chute, avec une baisse sensible des exportations horlogères en 2020. La banque Vontobel va même plus loin et imagine un repli de l’ordre de 25%.

 

Des exportations en dents de scie au premier trimestre 2020

Premier pays touché par le Covid-19, la Chine a pris des mesures drastiques dès janvier, confinant une bonne partie du pays pour tenter de stopper la progression du virus. Résultat: les exportations horlogères y ont fondu de plus la moitié en février, à -51,5%. En Europe, c’est ensuite l’Italie, en février, qui est devenue le foyer de la pandémie. Là également, la fermeture des commerces, le confinement imposé et le bouclement des frontières ont fait plonger les exportations, avec une chute de 57,6%.

Jean-Daniel Pasche n’imagine toutefois pas un recul de cette importance dans les autres pays du Vieux Continent. L’Italie a en effet été le pays européen le plus affecté et les mesures prises y ont été particulièrement strictes. D’autres pays, nettement moins touchés par le coronavirus, ont en revanche mieux tenu le choc, à l’instar de l’Allemagne.

La pandémie ayant touché encore plus tardivement les Etats-Unis, les affaires y ont été florissantes pour les horlogers. Au premier trimestre, leurs exportations y ont progressé de 18%, à 638mios de francs. Du coup, les Etats-Unis ont dépassé Hong Kong en tant que premier marché d’exportations horlogères! Mais au vu de l’évolution de la maladie et de l’explosion du chômage qui en résulte, Jean-Daniel Pasche s’attend à des résultats fort différents en avril.

Volume réduit de moitié
Si la valeur des exportations a fondu comme neige au soleil, le recul est encore plus marqué en termes de volumes. Au premier trimestre, la branche n’a en effet exporté que 3,8mios de montres, soit 1,1mio de moins qu’une année plus tôt. Le mois de mars a été particulièrement catastrophique, avec seulement 900000pièces exportées, soit un recul de 43,1%. Une baisse qui affecte davantage les segments d’entrée et de milieu de gamme que le haut du panier.

Cette situation est particulièrement inquiétante au niveau de l’emploi, car ces deux secteurs sont de gros pourvoyeurs de postes de travail. Et Jean-Daniel Pasche de souligner que si tous les domaines d’activité souffrent, celui de la sous-traitance est certainement le plus affecté: «En période de crise, c’est en effet le premier touché, mais le dernier à redémarrer lors de la reprise.»

Il note toutefois que le recours massif au chômage partiel permet d’amortir le choc et surtout d’éviter des licenciements massifs. Reste que si la crise devait perdurer, cela pourrait condamner nombre d’entreprises et avoir de lourdes conséquences sur l’approvisionnement en composants de l’ensemble de la branche.

 

Horlogerie en mars

1,4 Montant (en milliard de francs) des exportations.
21,9 Baisse (en pourcent) des exportations.
900000 Nombre de pièces exportées, en recul de 700000 unités.
-43,1 Baisse (en pourcent) du nombre de montres exportées.
227 Montant (en millions de francs)des exportations aux Etats-Unis, soit une hausse de 20,9%. En février, les exportations s’étaient élevées à 206mios (+17,8%).
156 Montant (en millions) des exportations en Chine (+10,5%). En février, les exportations y avaient plongé de 51,5%
138,5 Montant des exportations à Hong Kong (-41,3%). En février déjà, elles accusaient un recul de 42%.

 

Articles correspondant: Région »