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Musique

Entre frères

Vingt-trois ans d’une morne éternité à souffrir dans l’ignorance. Vingt-trois ans depuis «Vae Victis», disque culte le moins vendu de l’histoire du rock. Mercredi prochain, Galaad sort son troisième album. «Frat3r» est le fruit orgasmique d’une séparation, d’une reformation et de la maturité des années.

Sébastien Froidevaux, Pierre-Yves Theurillat, Laurent Petermann, Gianni Giardiello et Gérard Zuber (de gauche à droite). De «Premier Février» à Frate3r», ou le Galaad de 1993 en version 2019. (Rolf Perreten)

Laurent Kleisl

Galaad s’accroche à ses racines, à ce rock progressif rageur et lyrique, s’appuyant sur des textes oscillants entre onirisme et mal-être moderne. La pochette, fruit du travail de Lyne Héritier, donne le ton. Elle s’inspire d’un cliché de Niki Feijen, artiste néerlandais immortalisant les endroits laissés à l’abandon par l’activité humaine. «C’est la gueule d’une chaudière dans une usine de filature désaffectée en Seine-Maritime. Les ouvriers l’appelaient ‹Le Bonhomme›», raconte Pierre-Yves Theurillat, dit Pyt, chanteur et parolier.

Les textes se nourrissent de friches, matérielles et humaines. «Ce n’est pas un concept album, comme ‹The Wall› de Pink Floyd», prévient Pyt. Huit titres dissociés qui forment un ensemble, une unité liée par une trame de fond, une atmosphère perceptible. «Une ville industrielle, un peu fantomatique, une machine qui avale ses enfants. ‹Frat3r›, c’est un bout de fraternité jetée à la gueule du désarroi, une fraternité réelle ou symbolique.»

Justice est fête
Le réel, Theurillat l’a aussi puisé dans le vote du 18 juin 2017, celui de l’autodétermination de Moutier. Avec «Justice», il se laisse porter par la fraternité de son peuple. «C’est un hommage à la terre jurassienne. Ce n’est pas une chanson politique ou provocatrice, ce n’est pas l’idée. Elle a été écrite en toute indépendance. On se sent jurassien et on veut véhiculer une image positive d’être jurassien.» Impressionnant assemblage de 5000 photos, le clip de «Justice», réalisé par Guillaume Lachat, soutient ce texte engagé.

«Justice est fête, distille». Le refrain est entêtant, qu’importe la couleur du drapeau. Des mots qui s’inscrivent dans l’écriture du barde prévôtois, cette perpétuelle recherche de musicalité. «J’essaie de faire sonner les mots tout en consentant à une perte de sens. C’est une gageure!», lâche Pyt. L’écriture, parfois douce, souvent nerveuse, se fond en un tout avec les guitares de Sébastien Froidevaux et les claviers de Gianni Giardiello. «Je n’arrive pas avec des textes tout cuits. Les mots et la musique évoluent de concert», dit-il.

Le Rocco de la basse
Monument du rock progressif sorti en 1996, «Vae Victis», prédécesseur de «Frate3r», est si proche et si lointain à la fois. «‹Vae Victis› véhicule une énergie brute, sauvage. On a vieilli; aujourd’hui, cette énergie est plus contenue. ‹Frat3r› possède un côté très mélodique avec une bonne rythmique rock.» Au cœur de cette rythmique, Gérard Zuber. Bassiste sur «Premier Février», premier album de Galaad sorti en 1993, le Delémontain est le symbole du retour aux affaires du groupe prévôtois.

Tout est parti d’un coup de fil de Froidevaux en mars 2016. Le guitariste virtuose rassemble les quatre musiciens de la troupe. «On jouait des reprises de Deep Purple, Faith No More ou Marillion», décrit Zuber. «Je n’avais plus touché une basse depuis l’été 1993. Au début, ça fait mal aux doigts! J’avais tout vendu mon matériel, j’avais juste gardé une vieille Ibanez pour marquer le coup. J’ai dû racheter du vrai matos et me mettre à répéter.» Et apprendre. Apprendre «Vae Victis», œuvre majeure à laquelle le Delémontain n’a pas participé. L’album culte est pilonné par les lignes de basse de Vincent Berberat. «Passer après Vincent, c’est comme sortir avec l’ex de Rocco Siffredi!», se marre Zuber. «Les quatre se sont retrouvés sans m’avertir, avant de se dire qu’ils avaient quand même besoin d’un chanteur», sourit Pyt. Le début du recommencement.

Un autre rythme
C’est fait. En 2016, 20 ans après son explosion, Galaad est reconstitué. Une explosion en début d’ascension. «Une partie du groupe poussait pour devenir professionnels, les autres ne voulaient pas. Avec Gianni Giardiello, on s’était même quitté très fâché», se souvient Pyt. «A l’époque», se rappelle Zuber, «on répétait trois à quatre fois par semaine, en plus du week-end. Aujourd’hui, on se voit un samedi ou un dimanche par mois. On s’échange des fichiers via internet et quand on se retrouve, on essaie de mettre ces idées ensemble.»

Avec Theurillat, Zuber, Froidevaux, Giardiello et le batteur Laurent Petermann, Galaad a retrouvé sa forme originelle, celle de «Premier Février». «Un premier album, avec ses péchés de jeunesse. Un album grâce auquel nous avons beaucoup appris», avoue Theurillat. Une version digitale remasterisée est en gestation.

Galaad a des projets. Quelle merveilleuse nouvelle.

 

Des souscripteurs pour financer les supports physiques

L’idée d’inventer une nouvelle production sous le nom de Galaad a germé en automne 2017, dans la foulée d’un concert donné au Chant du Gros. Elle est arrivée à maturation après un premier jet, le titre «Merci [puR]», sorti en octobre 2017. «On s’est dit pourquoi ne pas se lancer dans un album complet en format digital», explique Gérard Zuber. «Après tout, les CD ne se vendent plus, les vinyles ne sont destinés qu’aux passionnés et le pressage de la musique sur support physique représente près de la moitié des coûts.» En témoin, Pierre-Yves Theurillat «himself», expert en production musicale loin des grands circuits de distribution. Il a ramé, Pyt, pour financer les deux – excellents – albums de son projet solo. «De nos jours, ce n’est pas évident de sortir un disque», dit-il.

Matériel contre digital, Galaad a tranché. «On est des gamins des années 80», souffle Theurillat. «Les vinyles, c’est ce qu’on avait entre les mains, on a grandi avec cet objet.» Pour boucler l’enregistrement au Studio Artsonic de Rossemaison et financer la fabrication de 1000 CD et de 300 vinyles – un magnifique format gatefold disponible en juin –, la petite entreprise prévôtoise de rock progressif a rassemblé un budget de 25 000 fr. «Le financement participatif nous a permis de couvrir les frais liés à la création de ‹Frat3r›», relève Theurillat.

En 40 jours, entre décembre et janvier dernier, 11 000 fr. ont été réunis via wemakeit.com. A déduire, les 10% que s’alloue le site de crowdfunding pour assurer son fonctionnement. «Le solde, ce sont nos fonds propres», précise Pyt. Parmi les diverses variantes proposées, un showcase privé en studio. «Plus de la moitié des 150 souscripteurs viennent de France», observe Zuber. Pays où «Vae Victis», frère aîné de «Frat3r», s’est taillé un succès d’estime à la fin du siècle passé. «On est plus reconnu en France qu’en Suisse romande, où on reste cantonné au statut de groupe régional», souligne Pyt. Galaad, un des secrets les mieux gardés de l’Arc jurassien.

«Frat3r». Sortie le 15 mai. Disponible en téléchargement sur iTunes, Apple Music, Google Play, Tidal et Deezer. Support physique en vente au Lounge Bar et au Restaurant du Soleil à Moutier, chez Fournier Musique à Delémont, sur galaad-music.com et builtbyfrance.com.

 

Galaad: d’hier à aujourd’hui

1989 Le 14 avril, premier concert au Centre culturel de la Prévôté, avec Sébastien Froidevaux (guitare), Gianni Giardiello (claviers), Laurent Petermann (batterie), Pierre-Yves Theurillat (chant) et Maria-Lourdès Denis (basse). Suite au décès tragique de cette dernière à l’âge de à 17 ans, Gérard Zuber lui succède à la basse.

1993 Sortie du premier album, «Premier Février». En fin d’année, le bassiste Gérard Zuber quitte le groupe. Il est remplacé par Christophe Bée, puis Vincent Berberat.

1996 Sortie du deuxième album, «Vae Victis». Au total, les deux premiers disques de Galaad se sont écoulés à 10 000 exemplaires. Première partie de Pendragon au Bataclan, à Paris.

1997 Les membres de Galaad se séparent.

2010 Emanation de Galaad, L’Escouade sort «Confidences de mouches» avec, notamment, Pierre-Yves Theurillat au chant/paroles et Laurent Petermann à la batterie.

2013 Sortie de «Carnet d’un visage de pluie», premier album du projet solo de Pierre-Yves Theurillat sous le nom de Pyt, avec Sébastien Froidevaux à la guitare.

2015 Sortie de «Mon grand amer», deuxième album de Pyt, toujours avec Sébastien Froidevaux à la guitare.

2016 En mars, retrouvailles de Galaad dans sa forme originelle, celle de «Premier février», avec Gérard Zuber à la basse.

2017 Le 18 mars, concert de reformation à la Fête de la jeunesse à Moutier. Concerts au Locle, à Saignelégier et, le 8 septembre, au Chant du Gros au Noirmont. Le 2 octobre, sortie de «Merci [puR]», premier nouveau titre produit par Galaad depuis 1996.

2018 En octobre, première session d’enregistrement de «Frat3r» au Studio Artsonic de Rossemaison sous la houlette de Carryl Montini.

2019 En mars, deuxième session d’enregistrement. Le 15 mai, sortie de «Frat3r», troisième album de Galaad. Vernissage le 17 mai au SAS, à Delémont, avec Middlecage en première partie. Tournée à suivre.

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