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Courtelary

Il écrit pour sortir de l’enfer sur terre

Bien connu dans le giron du rock regional pour avoir fondé le groupe The Clive,le guitariste Gilles Favre souffre de schizophrénie. Il écrit un livre à vocation thérapeutique.

En rédigeant «Mise à nu», Gilles Favre espère canaliser ses émotions et trouver des pistes . Photo: Salomé Di Nuccio

Texte et Photo Salomé Di Nuccio

«J’ai déjà rédigé pas mal de pages! Même si certaines sont encore à l’état de brouillon, vu que je suis en train de mettre de l’ordre dans certains passages de ma vie.» Guitariste du groupe de Courtelary The Clive, Gilles Favre s’est mis à l’écriture ces derniers mois. Non pas pour mettre des mots sur ses morceaux, mais pour un ouvrage à vocation thérapeutique, qu’il pense éditer et intituler «Mise à nu». L’activité lui réussit, restituant à son visage une lumière douce longtemps éteinte. Mais pourquoi ce déshabillage épistolaire? Pour décrire comment lui, Gilles, 29 ans, gestionnaire commercial, papa d’un petit garçon et musicien de talent a basculé dans une sorte d’enfer sur terre: la schizophrénie paranoïde.

Aller à la racine du mal
Victime d’hallucinations auditives récurrentes, de troubles perceptifs et d’idées délirantes, Gilles Favre a été diagnostiqué schizophrène en 2016. Le genre paranoïde étant un sous-type de la pathologie. «De cette maladie en ont découlé d’autres, dont l’agoraphobie, les attaques de panique et la dépression.» Au bénéfice d’une rente AI depuis six mois, il est pris en charge deux fois par mois par un psychiatre. En parallèle, il suit une psychothérapie hebdomadaire auprès d’un infirmier. Pour maintenir les symptômes sous contrôle, la batterie de médicaments prescrite donne les frissons. Dix-neuf au total, dont des antidépresseurs puissants.

A travers l’écriture, le musicien a choisi d’évoluer. Au lieu de plonger dans le déni, il ira à la rencontre de la racine du mal. Et à défaut de pouvoir l’extraire il la traitera.

De son enfance à la pose du diagnostic, «Mise à nu» relate une grande partie de son cursus de vie. Ses années d’écolier à Courtelary, sa première guitare à sept ans et sa formation à Saint-Imier, tout comme la fondation de The Clive, les tournées exaltantes, puis la naissance de Mylann, trois ans et demi à présent. Et dans ce rassemblement de souvenirs, sa première vague de psychoses à l’âge de 13 ans. «Durant mon sommeil, je me réveillais très régulièrement vers 1h du matin. Je voyais des personnes pendues dans ma chambre, et je parvenais étrangement à converser avec elles. C’était très troublant. Du coup, j’ai commencé à m’endormir avec la lumière allumée.»

Deux précieux compromis
De retour dans sa famille qui l’encadre au mieux, Gilles Favre dort toujours à la lueur d’un abat-jour. Reste qu’avant l’âge de 26 ans, les phases de crise l’avaient lâché pendant 10 ans. Ce qui lui avait permis l’accès à une vie stable. «On pense qu’un abus d’alcool a peut-être caché mes crises.» Une forme de médication en soi. Une solution facile quoique délétère, bien gérée en journée avant de déraper en soirée. «Ca me décompressait en quelque sorte. Même si ça ne faisait que repousser l’échéance, creuser ma tombe…»

Bien qu’aujourd’hui sous contrôle et espacées, les hallucinations reviennent contre toute attente, aussi variées qu’irrégulières. Il ose confier la dernière, en début de mois, à l’occasion d’un dîner en famille. «A chaque fois que quelqu’un marchait, j’avais une sensation de coups de marteau dans ma tête et j’entendais les voix résonner, comme décuplées. J’ai alors tapé sur la table et hurlé à n’en plus pouvoir. On m’a hospitalisé, administré du valium puis ramené à la maison…»

Conscient de sa fragilité, le jeune homme a bien conscience qu’en deux ans, cette maladie incurable a torpillé sa qualité de vie. Contraint de renoncer à son couple et au boulot, il ne peut plus se produire en concert. Evidemment. Comment affronter la foule et les stroboscopes? «Elle m’a privé d’un maximum de choses! Rien que de prendre le train pour retrouver un ami à Bienne, par exemple, ça représente aujourd’hui pour moi un truc énorme. C’est difficile à vivre et j’en pleure beaucoup.»

Privé de scène avec The Clive, le guitariste a su trouver un bon compromis avec les membres du groupe. Il les rejoint s’il le peut en studio et compose pour eux. Trois à quatre fois par semaine, il reçoit même de jeunes élèves pour des leçons. «La guitare est d’une très grande aide pour moi. C’est une échappatoire qui me permet de ne plus penser à ma maladie.» Il a aussi convenu d’un arrangement avec son ex-compagne. Chaque mercredi, Mylann passe une journée auprès de la famille Favre. «J’essaie tant bien que mal de m’en occuper par mes propres moyens.»

Trouver des pistes et aider
En rédigeant «Mise à nu», Gilles Favre espère canaliser ses émotions, trouver des pistes. «Ca m’apprend beaucoup de choses sur mon parcours, tout en m’en rappelant d’autres dont je ne me souvenais plus.» En cas de bonnes retombées sur son évolution de santé, voire de succès public, le volume pourrait faire l’objet d’une suite. Dans l’idée de «tendre la main» à d’autres, l’après 2016 serait en point de mire. «J’aimerais bien pouvoir aider des personnes dans le besoin. Parce qu’il s’agit d’une maladie dont on parle peu, et qui reste en fait très stigmatisée.»

 

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