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La vie loin de tout (1)

Ils partent au boulot en raquettes

Paula Amstutz et Enrico Erba vivent depuis huit ans aux Convers, sur le territoire de la commune de Renan, dans une guérite sans route d’accès. Une vie au cœur de la nature, à peine perturbée par le passage des trains.

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  • Dossier

Texte Nicole Hager

Photos Enrico Erba

 

Le JdJ à l'aventure

Comment vit-on quand on habite loin de tout? Qui plus est quand l’hiver s’installe et que la neige s’en mêle? Le Journal du Jura est parti à la rencontre d’habitants du Jura bernois qui résident à distance des commerces, des écoles, des cabinets de médecin, des transports en commun… Au fil de la semaine, découvrez des aventuriers, des férus de liberté ou des reclus volontaires à la recherche d’une forme de tranquillité ou d’isolement. Des débrouillards, assurément.

 

«Vous avez une voiture quatre roues motrices?» Au téléphone, mon interlocuteur s’inquiète. A moins de pouvoir faire passer l’achat d’une 4 x 4 sur ma note de frais, je vais devoir me risquer sur la route des Convers enneigée avec une banale voiture…

A un jour de ma visite, Enrico Erba, décidément très prévenant, m’avertit: «La neige sera au rendez-vous! Prendre une bonne paire de chaussures ou, mieux, des raquettes serait judicieux!» Et, effectivement, les raquettes ne sont pas de trop pour atteindre le refuge douillet que se sont aménagé mon hôte du jour et sa compagne Paula Amstutz.

Voici huit ans, résidant alors à Reconvilier, le couple cherche un lieu isolé et calme où habiter. Au hasard de recherches sur internet, Enrico Erba découvre une propriété qui capte immédiatement son attention, d’autant que l’objet immobilier est mis en vente à un prix dérisoire. Et pour cause! «L’endroit était insalubre, pas relié à l’eau courante et, surtout, sans accès direct à la route.» Ce gros défaut fait aussi son charme.

Si, pour la plupart d’entre nous, les déplacements en raquettes à neige sont réservés aux loisirs, pour Paula Amstutz et Enrico Erba, c’est un mode de locomotion quotidien. Dès que la neige fait son apparition, nos deux aventuriers enfilent un pantalon de ski et chaussent leurs raquettes pour réaliser le trajet qui sépare leur maison de la route des Convers, 400 mètres à vol d’oiseau en contrebas. Un petit dénivelé qui a largement contribué à faciliter l’achat de la guérite que le couple occupe aujourd’hui.

Construite en 1876, du temps des trains à vapeur, le long de la ligne La Chaux-de-Fonds - Bienne, la maisonnette s’est trouvée délaissée avec la disparition du poste de garde-barrière. Elle revit aujourd’hui, après une sérieuse rénovation. Ses nouveaux propriétaires ont très vite saisi le potentiel de cet espace de vie.

Ambiance hivernale
La vue sur les Convers depuis la véranda entièrement vitrée offre de saisissants tableaux. Deux chevreuils apparaissent à l’orée de la forêt, puis gambadent en toute liberté non loin de la maison. On suit les humeurs du ciel en direct. La vallée d’une blancheur immaculée est tour à tour plongée dans la brume, balayée par les vents, puis inondée de soleil. Un spectacle magique. Paula Amstutz et Enrico Erba ne s’en lassent pas. Ils sortent régulièrement leur objectif pour capter les beautés du paysage qui se déploie sous leurs yeux. L’endroit a bien d’autres trésors à offrir à ces deux amateurs de photographie, de jardinage, de cueillette de champignons, de randonnées ou encore de tir à l’arc, parfaitement conscients que leur situation ne conviendrait pas à tout le monde. «Notre maison peut paraître trop isolée.»

Un concentré de technologie
Malgré un certain isolement, la technologie fait partie du quotidien du couple. Bien avant que la domotique devienne un mot d’usage courant, Enrico Erba a développé, au début des années 90, un système de gestion de l’électricité complètement automatisé. L’invention brevetée a été adaptée à son nouveau logis. Elle prend en compte une multitude de paramètres pour gérer et contrôler différents types d’appareils électriques. L’ingénieux bricoleur a également mis en place un système de récupération et de distribution de chaleur. Il ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. «A terme, le but est d’arriver à vivre en autosuffisance. L’eau de pluie est déjà récupérée dans une citerne, 60% de notre électricité provient du soleil par le biais de panneaux photovoltaïques et le chauffage est assuré par le bois issu de notre forêt.»

Antidote à la vie stressante
Enrico Erba, petit-fils du peintre Antonio, et sa compagne rêvaient d’espace et de liberté. Ils sont servis. L’hiver, les trajets en raquettes entre leur domicile et la route des Convers, où ils récupèrent leur véhicule, servent de sas de décompression pour passer d’un monde à l’autre. De la fébrilité d’une vie active au service d’une célèbre entreprise horlogère de la place biennoise à la quiétude de leur refuge. «Quand on arrive chez nous, on adopte un autre rythme. Je ne suis jamais pressée», relève Paula Amstutz, peu craintive à l’idée de se retrouver seule dans un lieu si isolé. «J’ai grandi à Rebévelier. Je suis habituée à vivre au bout du monde. Et si j’ai pu éprouver un sentiment de solitude en ville, ici, cela n’a jamais été le cas. Les animaux me tiennent compagnie. Nous avons deux chats, un chien et des lapins.» «En automne, on réduit drastiquement le cheptel pour remplir le frigo», complète, un brin goguenard, Enrico.

C’est qu’il faut être prévoyant quand on habite dans de telles conditions. Avant que les rigueurs de l’hiver ne s’abattent, les réserves d’eau, de gaz pour la cuisine et de bois pour le chauffage sont faites… en 4x4. Durant les beaux jours, en de rares occasions et à condition que le terrain ne soit pas trop détrempé, on peut atteindre la guérite des Convers en voiture ou à moto en manœuvrant plusieurs clédards. Le reste du temps, le train ne fait que passer sans jamais s’arrêter. L’endroit ne se gagne qu’à pied ou en raquettes. «Peu de gens sont disposés à consentir à un tel effort pour rentrer chez eux», remarque Enrico Erba, surnommé Nounours par ses collègues de travail, eu égard à son lieu d’habitation. Mais pas question d’hiberner pour cet ours-là, parti autrefois en Slovénie exercer ses talents de photographe auprès d’ours encore plus sauvages. «L’hiver est une période propice à la contemplation. Les oiseaux se taisent, le bruit du train est atténué.» Bien au chaud, Enrico Erba s’adonne à l’une de ses innombrables occupations, que ce soit le tournage sur bois ou la réalisation de vitraux.

La nature qu’il observe depuis sa tanière, bien au chaud, ce Robinson des temps modernes l’explorera plus tard.

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