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Tavannes: Passé simple

Les Farron: de Tavannes à la cour de Russie...

Mensuel romand d’histoire et d’archéologie, il compte 2400 abonnés. Dix fois l’an, il abrite diverses contributions. Comme celle de l’historien tavannois Pierre-Yves Moeschler, qui évoque la vie de deux concitoyens illustres.

Henri Farron: selon Pierre-Yves Moeschler, un Tavannois «heureux en Russie, mais malheureux en Suisse». LDD

Pierre-Alain Brenzikofer

On ne présente plus Pierre-Yves Moeschler. On souhaite plutôt lui être présenté. Les érudits et même ceux qui le sont moins connaissent ses nombreuses contributions à l’histoire de son coin de pays, du pasteur Frêne à la riche épopée de Bellelay en passant par celle des anabaptistes.

Enfant de Tavannes exilé à Bienne, où il fut conseiller municipal, il vient de livrer une nouvelle contribution à Passé simple, remarquable revue consacrée à l’histoire et à l’archéologie. Entre autres sujets, le prochain numéro de Passé simple contiendra donc la chronique du précité consacrée à Henri Farron et à sa sœur Amie, qui ont longtemps vécu dans la Russie des tsars en tant que pédagogues.

Passé simple? Son responsable et créateur se nomme Justin Favrod. Journaliste et historien établi à Pully, il s’entoure de nombreux spécialistes, issus des universités et institutions romandes, qui se consacrent au passé et œuvrent dans différents cantons. Pour l’heure, plus de 50 personnes ont répondu présent: spécialistes adonnés à l’histoire, à l’archéologie, aux sciences archivistiques, à la généalogie, à l’histoire de l’art ou des monuments, à la numismatique ou à l’épigraphie.

Il y en a effectivement pour tous les goûts et toutes les périodes. Une visite sur le site www.passesimple.ch permettra d’ailleurs d’en apprendre davantage. Et surtout de commander un exemplaire du prochain exemplaire de cette revue de 36 pages qu’on ne trouve que dans les librairies Payot. Il n’est en effet pas prévu que le texte du dossier Moeschler soit publié sur internet.

Voilà pour le contexte.

Or donc, l’historien tavannois s’est ici attaché au parcours de vie d’Henri Farron, né à Tavannes en 1802, qui coucha sur le papier en 1869 le récit de ses années passées en Russie comme précepteur, dans l’espoir d’échapper à la dureté de sa condition à l’heure où d’autres jeunes gens de son village émigraient vers la Caroline du Nord ou le Michigan.

Au soir de sa vie, il écrivit ses mémoires «pour que mes arrière-arrière petits-fils sachent qu’ils ont eu un arrière-grand-père heureux en Russie et malheureux en Suisse».

D’une première place dans le milieu de la bourgeoisie polonaise de Kiev, nous apprend Moeschler, il passera à la petite noblesse russe à Moscou, puis se rapprochera, étape après étape, de la cour du tsar.

«Il embellit son passé russe avec pathos, pour mieux accentuer la déchéance d’avoir dû retourner au labourage et aux chicanes familiales à la fin de sa vie», juge toutefois l’historien tavannois. Grâce à ce dernier et aux mémoires d’Henri Farron, on se plonge dans l’Europe du XIXe siècle, en pleines transformations. L’épopée napoléonienne est encore proche.

Farron, lui, partage l’existence mondaine de ses employeurs: «On lui confie l’éducation des enfants, en langue française: l’un de ses pupilles, le prince Alexis Soltykov, parle à peine le russe, car ‹il n’aimait pas cette langue barbare›, s’amuse Pierre-Yves Moeschler en glissant accessoirement que pour ses élèves, Farron est un père de substitution, un éducateur, un mentor.

Il partage leur vie sociale et anime leurs loisirs par des lectures, des jeux, des balades, des parties de chasse, des activités en plein air comme le patin ou la luge.

On apprend encore que même s’il est né Français le 22 ventôse de l’an X, dans l’alors Département du Haut-Rhin, il n’en fait jamais mention: «Son sentiment d’appartenance ne fait aucun doute:il est un jeune Suisse du Jura bernois», note Moeschler. À part ça, sa langue est soignée et dépourvue de régionalismes, à une époque où on parlait encore patois au village.

Hélas pour lui, c’est finalement sa condition d’homme marié qui le ramène en Suisse, à son grand regret...

Bref, un récit en tous points fascinant.

Tel frère, telle sœur?

Dans ce numéro de Passé simple à paraître incessamment, Pierre-Yves Moeschler évoque encore le cas d’une des sœurs d’Henri Farron, Amie, elle aussi partie en Russie pour contribuer à l’éducation des filles d’un prince. De sa vie, il reste 31 cahiers, qui permettent de constater que son séjour chez les tsars ne l’a pas vraiment enchantée: «Ô mes chalets du Jura, les reverrai-je jamais?»

Un troisième volet est consacré à tous ces Suisses qui émigraient, jusque vers 1880.

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