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Disparition

L’esprit et les belles lettres

Ancien maire de La Neuveville, homme de culture comme de conviction, Jacques Hirt est décédé samedi. Auteur de savoureux polars, il avait érigé en dogme la parfaite maîtrise du français.

Maire de La Neuveville de 1989 à 2000, Jacques Hirt a indubitalement marqué l’histoire de sa commune et de son coin de pays. Photo: LDD

Par Pierre-Alain Brenzikofer

Il était l’un de ces maires charismatiques dont le rayonnement dépasse allégrement le cadre de leur commune. La Neuveville pleure Jacques Hirt, décédé samedi des suites d’un cancer, à l’âge de 81 ans. Les uns salueront le prof inspiré devenu directeur du Collège de district, les autres l’autonomiste aussi convaincu que conciliant. Les lecteurs du Journal du Jura, eux, ont eu, durant de longues années, la chance de déguster ses chroniques du samedi dans la rubrique «L’invité».

Actuel maire de La Neuveville, Roland Matti nous a confirmé la triste nouvelle. Pour sa part, il gardera en mémoire l’extraordinaire prof de français et d’anglais: «Pour le fondateur du parti Forum, La Neuveville passait avant tout. Il avait la parole facile, impressionnait par son éloquence. J’aimais aussi énormément ses polars, qui faisaient état d’événements survenus dans notre cité.»

Ah! les polars de Jacques Hirt. Six en tout, parus aux éditions RomPol entre 2004 et 2014. Caractéristique? Cette volonté, quasi obsessionnelle, de retravailler chaque phrase jusqu’à l’excellence, quitte à négliger un brin l’intrigue. C’est que ce prof de français à l’ancienne vouait un amour peu commun à sa langue. Passion qu’il mettait en pratique à l’oral comme à l’écrit. Sûr, personne ne s’est jamais endormi lors d’un discours de Jacques Hirt!

Le directeur écouté
André Montavon, autre autonomiste conciliant et lettré, ancien directeur d’école comme le disparu, se souviendra surtout de l’animateur de la CODES, la fameuse Conférence des directeurs d’écoles secondaires: «Il était notre grand frère. Un sage dont tout le monde écoutait les avis. J’ai aussi pu découvrir son esprit conciliant à l’armée, notamment lors de parties de cartes avec des antiséparatistes.»

Le Prévôtois parle justement de Jacques Hirt comme d’un homme de référence, mais aussi comme d’un esprit consensuel: «Il avait des idées bien arrêtées en matière de politique jurassienne, ce qui ne l’empêchait jamais de vouloir arranger les choses. Il s’était enfin beaucoup battu pour que le statut de directeur d’école soit reconnu et aménagé.»

Un homme universel, en quelque sorte, pour qui la culture n’avait pas de secrets. Membre du comité directeur de la Société jurassienne d’Emulation, de moult commissions culturelles, cantonales ou interjurassiennes: n’en jetons plus! Côté politique, on lui doit la fondation du mouvement Jura-Sud Autonome comme du Parti Forum neuvevillois, émanation locale du Parti libéral jurassien.

Personnellement, on se souviendra de son passage remarqué à la tête de la Conférence des maires, en 1999 et 2000. Une époque où les maires croisaient le fer plus souvent qu’à leur tour avec feu le Conseil régional, prédécesseur du CJB. A ce jeu-là, Jacques Hirt excellait. Partisan de communes fortes, il n’hésitait jamais à les défendre à la pointe de cette plume qu’il avait alerte, pertinente et incisive, mais jamais bêtement méchante. Ses nombreuses chroniques dans Le Journal du Jura en témoignent.

Une manière gaullienne
Ancien conseiller national UDC de La Neuveville, Jean-Pierre Graber l’a bien connu et surtout côtoyé au sein des autorités locales, notamment au Conseil municipal durant huit ans: «Il faisait partie de ces maires autonomistes qui ont réussi à se faire élire dans le Jura bernois. A l’échelle de La Neuveville, il avait une manière assez gaullienne d’assumer sa fonction. En clair: à lui les grandes orientations politiques et que l’intendance suive! Sous sa présidence, l’administrateur des finances faisait en quelque sorte office de premier ministre.»
Notre interlocuteur se souvient aussi que Jacques Hirt n’avait pas été élu en 1986 au Grand Conseil, même s’il avait obtenu davantage de voix que le radical Marcel Schori. Il avait été la victime du découpage électoral du Jura bernois.

«Extrêmement impliqué dans le combat séparatiste, il fut un stratège de cette cause, note Jean-Pierre Graber. Il possédait une très forte conscience du Jura historique. Comme beaucoup d’enseignants, il avait été formé à Porrentruy et très marqué par cet environnement. C’était un homme élégant. L’expression de sa culture était élégante. Il manifestait enfin une véritable indépendance d’esprit, même par rapport à la cause autonomiste.»

A ce stade du récit, on s’en voudrait de ne pas rappeler que Jacques Hirt avait lancé l’idée d’un super-canton de l’Arc jurassien réunissant Jura bernois, Jura et canton de Neuchâtel. La suggestion avait connu un retentissement quasi national, mais suscité finalement peu d’intérêt dans la région concernée. Certains craignant franchement la noyade dans une mare plus grande, pendant que d’autres soutenaient l’idée simplement pour noyer le poisson...

Ancien conseiller d’Etat, Mario Annoni était préfet du district de La Neuveville quand il a fait la connaissance de Jacques Hirt. «Ce n’était pas un autonomiste virulent. Surtout, il n’axait pas toute sa politique là-dessus. Directeur d’école fort populaire, il avait été porté à la mairie par les jeunes générations.»

Apaiser les émotions
Mario Annoni tient à saluer l’intellectuel marqué par l’époque de ses études à Porrentruy: «Il était dans la même classe que le conseiller aux Etats Pierre Paupe.Les deux hommes possédaient d’ailleurs un caractère similaire, tout empreint de convivialité, d’ouverture et d’affabilité. Paradoxalement, Jacques Hirt était un personnage discret, qui n’aimait pas se mettre en avant.»

L’ancien magistrat, surtout, pleure un ami: «Quand j’étais conseiller d’Etat, il présidait la Conférence des maires.Il fut authentiquement un élément modérateur dans les années difficiles de la Question jurassienne. Il favorisait les contacts et apaisait les émotions.» L’un et l’autre avaient d’ailleurs été invités plusieurs fois par des journalistes pour évoquer de concert la fameuse question.

Erudit lui aussi,l’ancien conseiller d’Etat se souviendra forcément de l'homme de culture, du maire qui s’était beaucoup engagé pour le 700e anniversaire de sa commune, de la très fine plume qui faisait le bonheur du journal satirique local: «Il possédait très bien la langue française et pratiquait à la perfection la satire et l’humour. Il donnait de notre région une certaine image, pour reprendre une parole gaullienne. Oui, Jacques Hirt avait de l’ambition pour sa région et pour La Neuveville en particulier. Il avait d’ailleurs organisé avec moi la course d’école du Conseil fédéral en 1993, quand Adolf Ogi, ancien élève de l’école de commerce locale, était président.»

Ogi, Annoni, Hirt, Graber: La Neuveville constituerait-elle un passage obligé pour les grands esprits?

 

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