Opération séduction

Laurent Kleisl

A Moutier, les murs de l’hôtel de la Gare suintent des luttes du passé et d’aujourd’hui. «Le célèbre hôtel de la Gare», s’amuse Erich Fehr. Lundi soir, le maire de Bienne s’est rendu en pèlerinage dans ce haut lieu du combat politique pour rencontrer une copieuse délégation du Parti socialiste autonome. Candidat au Conseil exécutif, il a passé une audition devant la crème du PSA. «Des membres du comité, du Conseil de Jura bernois, du Conseil de ville de Moutier, des militants, il y avait beaucoup de monde, une vingtaine de personnes», détaille-t-il.

Animal politique jamais autant à l’aise qu’en période de campagne électorale, Erich Fehr a fait le déplacement en Prévôté pour convaincre, pour s’assurer d’un soutien qui n’a rien d’acquis. Soucieux de présenter une alternative à l’UDC Pierre Alain Schnegg, conseiller exécutif sortant qui occupe le siège dévolu au Jura bernois, le PSA n’a pas hésité à lancer son propre champion dans la course. «Peter Gasser est un excellent candidat pour le Jura bernois», relève Maurane Riesen, coprésidente du PSA. Un candidat dont la présence pourrait, en théorie, faire perdre quelques plumes à Erich Fehr sur le chemin du Rathaus.

Entre le socialiste de la ville et ceux de la Prévôté, l’ambiance a été au dialogue, à la construction de quelque chose de commun. C’est le message. «L’échange a été positif», souligne Maurane Riesen. «Nous avons parlé de la région, du socialisme dans le canton de Berne et des valeurs de la gauche. Notre vision est commune.» Erich Fehr corrobore: «Le PSA est même assez urbain, nous avons peu de différences majeures. PSA, PSJB, PSB, nous sommes tous de gauche!»

La culture du vestiaire
Dans son opération séduction, il ne pouvait décemment pas omettre de jouer la carte du bilinguisme, un atout maître dans son jeu. «Erich Fehr est très à l’aise en français, et il a de vraies connaissances sur les Romands et leur mentalité», observe Maurane Riesen. Le maire de Bienne admet sans ambages que ce bagage lui vient de ses jeunes années, lorsqu’il côtoyait des Welsches dans les vestiaires de hockey sur glace. «Je connais la culture et les valeurs des francophones», coupe-t-il. Déjà, il se projette: «Au Conseil exécutif, je serais en quelque sorte un pont entre Pierre Alain Schnegg, qui représente le Jura bernois, et les élus alémaniques.»

Une belle unité, une belle amitié. Soutien accordé? La réalité est un brin plus complexe. Passé le coup de foudre du premier rendez-vous, quand l’excitation du moment devient candeur, la raison reprend rapidement le dessus. Hasard amusant, hier, au lendemain de cette rencontre entre socialistes, l’Ours confirmait le déménagement, dès le mois d’août 2022, de l’Ecole de maturité spécialisée (EMSp) de Moutier à Bienne. «C’est une décision du canton, nous n’avons jamais rien demandé, ce qui vaut également pour le ceff Artisanat», se défend Erich Fehr, qui rappelle tout de même qu’en pratique, l’EMSp est déjà rattachée au Gymnase de Bienne. 

Directement, le départ de l’EMSp de la Prévôté est lié au prochain transfert de Moutier dans le canton du Jura. «Erich Fehr n’a rien à voir avec le dossier de l’EMSp», rétorque Maurane Riesen. «Par contre, certains enjeux, comme la centralisation des institutions à Bienne au détriment du Jura bernois, ont été abordés avec lui. Ce sont des enjeux très importants à nos yeux. Dans ce domaine également, il y a une compréhension mutuelle.» 

L’enseignement paternel
Habile, Erich Fehr n’a pas même besoin de marcher sur des œufs pour éviter de les casser. «Le Jura, le Laufonnais, Vellerat, les principes d’un transfert existent déjà», reprend-il. «Je suis l’enseignement de mon père (réd: Hermann Fehr, ancien maire de Bienne, conseiller d’Etat et conseiller national). Lors de la création du canton du Jura, il a toujours prôné l’autodétermination des peuples par un chemin démocratique dans une époque où, à Bienne, certains disaient qu’ils n’abandonneraient pas un seul mètre carré du canton de Berne. C’est avec ce principe que j’ai été éduqué.»

Son opération séduction, Erich Fehr l’a accomplie avec la fougue et le bagout du candidat, quelque chose d’inscrit dans son code génétique. «Même si cette rencontre a été positive des deux côtés, des choses restent à clarifier», indique Maurane Riesen. Le PSA dira s’il accorde son soutien au maire de Bienne, mi-janvier, lors du lancement de sa campagne.