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Témoignage

Pardonner pour avancer

Valéry Gonin avait 19 ans lorsque son père a tué sa mère, aux Ponts-de-Martel. Aujourd’hui âgé de 38 ans, ce pasteur évangélique explique son cheminement dans un livre. Il sera l’orateur de la Soirée de louange dimanche, à Reconvilier. Rencontre.

Valéry Gonin a décidé l’an dernier de coucher son histoire sur le papier. Celle ayant mené au drame du 4 juin 1998, mais aussi celle de sa reconstruction. «Un message d’espoir», dit le pasteur. Photo: Christian Galley

Par Michael Bassin

Le 4 juin, cela fera 20ans. Mais Valéry Gonin aborde sereinement cette date symbolique. «Non, ce drame ne me hante pas», confie d’une voix paisible celui qui a su pardonner et se reconstruire après cette terrible épreuve de 1998.

Cette nuit-là, dans la maison familiale des Ponts-de-Martel, Valéry Gonin est réveillé par des coups de feu. Le jeune homme de 19 ans entend des cris, puis à nouveau des détonations. En descendant à la buanderie, il voit son frère, blessé, dans une flaque de sang. A l’hôpital, il apprendra ensuite la nouvelle tant redoutée: son père a tué sa mère, avant d’aller se suicider dans les marais.

L’an dernier, Valéry Gonin a décidé de raconter son histoire dans un livre. Il y relate cette nuit d’horreur, mais il y explique aussi le contexte dans lequel ce drame s’est noué. Et, surtout, comment il a réussi à aller de l’avant. S’il a couché tout ça sur papier, ce n’est pas dans une perspective de thérapie personnelle. Mais pour délivrer un message d’espoir à tous ceux qui passent par des zones de turbulences. «Plusieurs personnes vivent dans un contexte familial proche de celui qui était le mien. J’avais envie de leur dire qu’il est possible de rebondir», explique Valéry Gonin.

Un mauvais terreau
Son contexte à lui, c’était celui d’une famille plombée par un père dépressif et colérique, croulant sous les responsabilités à l’usine. A la maison, «il fait régner un climat de terreur», écrit Valéry Gonin. Et puis, il y a l’aspect religieux. La famille fréquente un milieu rigoriste à l’extrême, coupé du monde et des autres chrétiens. Dans cette assemblée des frères, femmes et hommes ne s’assoient pas du même côté le dimanche. Et personne n’étale ses problèmes de couple, au risque d’être exclu. Le silence prime. «L’intégrisme et l’enfermement dans lequel nous vivions ont été des facteurs aggravants. Cela a été le terreau dans lequel la graine du drame a malheureusement pu germer», explique, critique, Valéry Gonin. «Dans mon histoire, le repli sur soi concernait le domaine religieux. Mais il peut aussi concerner d’autres milieux», met-il en garde.

Une rencontre divine
Le drame aurait pu l’anéantir. Mais Valéry Gonin s’en est sorti. «Grâce à une rencontre avec Dieu, au fait d’avoir été entouré, d’avoir pardonné et d’avoir compris mon histoire», résume-t-il rétrospectivement.

Cette rencontre personnelle intervient une année avant le meurtre de son père, au travers de deux épisodes. «Cette année-là, j’ai non seulement compris que Dieu était réel et non pas le Grincheux d’en Haut comme je le percevais jusqu’alors, mais j’ai aussi expérimenté qu’il était présent à mes côtés comme un père.»

Après le drame, Valéry Gonin s’est posé des questions, sur la souveraineté de Dieu par exemple. Certaines de ces interrogations n’ont d’ailleurs pas trouvé de réponse. Mais enraciné dans la foi, il n’a jamais remis en doute la bonté de Dieu à son égard.

Un couple bienfaisant
Le Neuchâtelois a aussi pu surmonter l’épreuve grâce à l’aide de proches, en l’occurrence du couple chez qui il a débarqué après les événements. «Ces gens m’ont accueilli de manière inconditionnelle. Ils m’ont pris tel que j’étais. Et puis, ils s’aimaient. Cela a été très guérissant pour moi.»

Valéry Gonin a aussi eu besoin de comprendre son histoire familiale, de savoir qui étaient ses aïeuls, de connaître leurs qualités et leurs défauts. «Il y avait un immense tabou à ce sujet. On m’avait appris qu’en cas de conflit avec quelqu’un, il fallait couper les ponts. J’ai grandi avec ce modèle, sans connaître grand-chose de mes grands-parents.»

Cette démarche lui aura permis d’en apprendre un bout, mais elle n’aura pas changé foncièrement les choses. Il retiendra par contre être le petit-fils de Pierre Nicolet, de Tramelan, «un grand-père brillant et apprécié, dont je suis fier».

Face à un choix
Mais au cœur de son processus de reconstruction, il y a avant tout le pardon. Car à un moment de sa vie, le Neuchâtelois s’est retrouvé face à ce choix: continuer de vivre avec son lourd passé fait de rejets, de souffrances et de blessures, ou entamer un chemin de pardon. Il a opté pour la deuxième option. «J’ai mis sur des listes tout le mal qu’on m’avait fait et celui que j’avais commis, puis j’ai décidé de passer à autre chose.»

Il imaginait que ça prendrait quelques jours. Ça a duré plusieurs mois. «Ça a été intense, avec des moments de colère et de haine. Mais j’ai choisi de me détacher de ce boulet et de tout remettre à Dieu. Mon père a tué ma mère, ce n’est ni juste ni excusable. Mais je lui pardonne.»

Valéry Gonin sera l’orateur, ce dimanche, de la Soirée de louange, à la Salle des fêtes de Reconvilier (19h30). Il viendra avec son livre, «Des racines dans le ciel; pardonner et se reconstruire après un drame familial» (éditions Favre).

 

Du bûcheronnage au pastorat
Né aux Ponts-de-Martel, il y a 38 ans, Valéry Gonin est aujourd’hui marié, père de trois enfants et domicilié à Môtiers. Forestier-bûcheron de formation, il a bossé dans les forêts neuchâteloises pendant dix ans, puis comme contremaître à l’Etat de Neuchâtel. Mais depuis 2010 et après avoir suivi une formation biblique et théologique d’orientation pentecôtiste à Orvin (Ibeto, aujourd’hui devenu Startup Ministries), il est pasteur à temps partiel dans une église évangélique, à Fleurier. Un poste qu’il quittera à fin août. Il s’investira dès lors dans des services – ou ministères, dans le langage évangélique – liés à la famille et à la guérison.

N’y a-t-il pas un gouffre entre le bûcheronnage et le pastorat? Aucunement, selon Valéry Gonin. «Mes aspirations se sont exprimées dans des voies différentes, mais elles restent les mêmes.» Et d’expliquer qu’il œuvre pour la forêt future: «Le résultat du travail d’un bûcheron n’est pas toujours visible dans l’immédiat. C’est identique dans le pastorat.»

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