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Le passé aux trousses (1)

Requiem pour un château fantôme

A Tavannes, un lieu de mémoire dépouillé de ses dernières pierres par les Chaindon...

A défaut de pont-levis, une passerelle menant à un peu médiéval cabanon. Vous avez dit outrage du temps?(Stéphane Gerber)

Pierre-Alain Brenzikofer

Dites! on ne va quand même pas trop se vieillir. A une époque pas si lointaine que ça, donc, les héros de notre enfance avaient pour noms Richard Cœur de Lion, Bayard, Lancelot du Lac, Guillaume le Maréchal – le meilleur chevalier du monde, selon les historiens – et Robin des Bois. Allusion à un univers peuplé de châteaux. Ceux qui nous faisaient jalouser les gamins ayant la chance d’habiter un bled abritant une de ces fantastiques constructions magnifiant le génie architectural du Moyen Age. Et rappelant certaines (médié)valeurs qui, hélas, n’ont plus cours aujourd’hui. L’esprit de chevalerie. L’amour courtois. Et aussi la crainte de Dieu, nous souffle-t-on au fond de la classe. D’accord! mais alors, on y ajoutera les fées, les elfes, les lutins et les gargouilles.

A Tavannes, on n’avait rien de tout ça. Sauf l’esprit de chevalerie, évidemment. Au moins, on nous avait rappelé çà et là qu’au lieu justement dit le Châtelet, un fier château trônait jadis sur la modeste colline sise au nord-est du village, un peu dans le coin de la Cave des Brasseurs, sur la route du Fuet. Vous nous suivez à la trace, évidemment. Une épée dans une main, le GPS dans l’autre.

Tout sauf le feu de Dieu

Las, d’autres bribes d’histoire nous avaient appris que cette demeure fut incendiée en 1499 avec le village entier de Tavannes par les sauvages mercenaires impériaux de la guerre de Souabe. Pire encore, de maudits protestants, venus forcément du village ennemi de Reconvilier, avaient par la suite prélevé jusqu’à l’ultime caillou du castel pour agrandir l’église de Chaindon, en 1740. Des aigrefins, déjà...

Ô rage, ô désespoir. A Tavannes, dès lors, à défaut de Gisors, de Chillon ou de Château-Gaillard, on fantasmait sur ces ruines qui n’en étaient même plus. Plutôt que de se noyer dans la trilogie «i» (pod, phone, pad), on se plongeait dans le médiéval, munis d’épées en bois et de boucliers en plastique. Voire d‘armures achetées aux Jouets Weber pour les plus nantis. Pour faire simple, on jouait à Ivanhoe. Parfois, mais pas toujours, notre fine fleur de la chevalerie moderne se hasardait jusque sur la colline du Châtelet. Et là, place à l’imagination et au rêve. Au désespoir, aussi: figurez-vous qu’un esprit sacrilège avait cru bon de s’emparer de la motte pour y ériger un ridicule cabanon. Même pas une échauguette. Mais un espace clos défendu par une bringuebalante barrière et un ponton qui n’a certes rien d’un pont-levis.

Propriété privée, mes bons sires! Au Moyen Age, il n’aurait pas fait long, le gars.

Alors, à défaut de cailloux et même de traces, on jouait les assaillants en escaladant la chancelante barrière précitée. Comme on descendait dans les douves pour mieux les imaginer remplies d’eau saumâtre, repaire d’improbables créatures. Sûrement des sornettes répandues par quelques vieux de la vieille qui les tenaient d’on ne sait trop qui. Ces mêmes anciens prétendaient qu’un souterrain reliait le château à la colline d’en face des Cerisiers. Immensément loin en face, puisque sise bien au-dessus du cimetière. Qu’est-ce qu’on l’a cherché, ce maudit souterrain. Aujourd’hui, ayant pris de l’âge, on sait que les seuls que la Suisse possède sont ceux qui furent creusés à l’époque glorieuse du réduit national. Soit bien avant l’ère d’Ueli Maurer. Lequel ne tient certes ni du chevalier Bayard, ni de Foulques Nerra.

Exil français

Aujourd’hui, Tavannes n’a évidemment plus de famille noble. Les Tavannes – c’était leur nom – sont allés se fourvoyer du côté de l’Ajoie depuis une éternité avant de franchir la frontière française. Pour l’anecdote, un lointain descendant, un certain Gaspard de Saulx-Tavannes, accessoirement maréchal de France, se distingua en 1572 en prenant une part fort active au massacre de la Saint-Barthélémy, où moult protestants perdirent la vie. Heureusement que son château tavannois avait cramé depuis une éternité! Après un tel forfait, sûr que les Tavannois, fervents disciples de Guillaume Farel pour leur part, y auraient alors bouté le feu.

50 ans après

Aujourd’hui, quelque 50 ans plus tard, rien n’a changé du côté du Châtelet. Le cabanon y trône toujours, comme le ponton et le fossé. Mais les épées en bois et les armures en carton sont passées de mode. Dès lors, seul reste le silence de la forêt. Même pas un spectre pour hanter ces lieux. Les fantômes, d’après ce qu’on sait, ont horreur des cabanons.

On vous quitte là: pensez, ils passent «Ivanhoe», ce soir, à la télé...

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