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«On s’est serré la main, comme pour se dire au revoir»

Huit ans requis contre l’automobiliste qui a causé la mort de deux de ses amis.

Une triste affaire occupe le château de Porrentruy depuis hier. Verdict demain en fin de matinée. Archives

Gérard Stegmüller

Ambiance lourde mais digne dans la grande salle (comble) du tribunal, hier au château de Porrentruy. En avril 2014, une virée en voiture a tourné au drame entre Montvoie et Villars-sur-Fontenais, à une poignée de kilomètres du chef-lieu ajoulot. Deux jeunes passagers ont perdu la vie.

Le Ministère public a requis huit ans de prison ferme contre le chauffeur, coupable aux yeux de la procureure de meurtres par dol éventuel. A savoir qu’il était conscient que les risques qu’il prenait pouvaient déboucher sur une issue fatale. La défense a demandé du bout des lèvres une peine de sursis partiel en plaidant l’homicide par négligence. Verdict demain.

Prostré sur sa chaise, tête baissée durant la totalité des débats, en pleurs au moment de son audition, le prévenu a maintes fois demandé pardon. Deux familles se sont portées parties plaignantes. Elles réclament justice.Leur regard à l’égard du prévenu: pas de vengeance.

Une simple indifférence. Le papa d’un jeune décédé: «Pour les familles des victimes, c’est un peu compliqué, cette demande de pardon. Les premières minutes de l’audition m’ont ému.Mais après, j’ai été refroidi. Le prévenu se réfugie dans un déni total. C’est affligeant.»

«Fou du volant»

La soirée s’annonçait somme toute classique. Vendredi, début de soirée, peu après 20 heures. On boit quelques bières. Puis on décide d’aller fumer un joint. Le chauffeur et cinq passagers embarquent dans une Peugeot 206. C’est une personne de plus qu’autorisée. Les six sont des jeunes Ajoulots, âgés entre 18 et 20 ans au moment des faits.

Selon la procureure Frédérique Comte, le récit détaillé de la course donne froid dans le dos. Avant de s’arrêter près d’une cabane, le chauffeur, adepte des sports extrêmes, dont le ski freestyle, fait montre d’une attitude «digne d’un pilote de rallye», narre la magistrate, en citant un survivant du drame, dont deux sont venus témoigner hier. Vitesse inadaptée, dépassement téméraire, demi-tours dans un champ:à plusieurs reprises, ses potes lui supplient de cesser son comportement. En vain.

Vers 21h15, retour à Porrentruy. Là encore, les passagers demandent au chauffeur de leur laisser la clef de sa voiture. Refus net et cinglant. «Avant de remonter, on s’est serré la main, comme pour se dire au revoir», ajoutera Frédérique Comte, toujours sur la base des déclarations d’un rescapé. «C’était ironique. Car tout le monde avait peur. Une fois de retour sur le bitume, il s’est pris pour un fou du volant», dixit un survivant, cité par le Ministère public.

Dans une courbe à droite, le prévenu perd le contrôle de son véhicule. Il fait nuit, la chaussée est mouillée. Selon une expertise, le véhicule devait rouler au moins à 83 km/h. Toujours selon un spécialiste, au vu de ces deux paramètres, le drame était inévitable, tenant compte en plus de la surcharge du véhicule et du taux d’alcoolémie du conducteur, estimé au mieux à 0,75‰.

En possession de son permis à l’essai depuis moins de deux mois, le pilote n’avait droit à aucune goutte d’alcool. La voiture va heurter deux arbres, avant de terminer sa course à 50 mètres en contrebas de la route.

Un jeune de 18 ans décède sur les lieux. Il avait pris place sur les genoux d’un de ses trois camarades, à l’arrière. Un deuxième adolescent meurt le lendemain à l’hôpital. Le chauffeur, son passager avant et les deux autres occupants arrière sont blessés. Personne n’était attaché. Le test pour déceler si le chauffeur avait consommé du cannabis s’est révélé négatif.

Le malin, le mariole

Huit témoins se sont succédé à la barre. La plupart à la demande de la défense. Le duo de rescapé a affirmé ne plus avoir de contacts avec le prévenu, «un déjanté» à en croire l’un d’eux.

Le «chauffard» pour employer les termes de l’avocate d’une des familles a déclaré une semaine après l’accident qu’il roulait normalement, qu’il ne comprenait pas les déclarations des trois occupants qui, au contraire, n’ont cessé de lui ordonner d’arrêter de conduire comme un casse-cou. «Je ne me rappelle plus», a lâché le prévenu, employé aujourd’hui dans une menuiserie dans un autre district. «Je souhaite fonder une famille. Mais je pense à ce drame tous les jours.»

Le président de la cour pénale (trois juges), Pascal Chappuis, à celui qui a eu 21 ans lundi: «Vos copains vous ont supplié de lever le pied. Vous n’avez rien écouté.» Long silence... «J’ai voulu faire un peu le mariole et le malin», a-t-il répondu durant l’enquête à l’expert psychologique.

La maman d’une des deux victimes a affirmé «que, oui, tsunami, le terme est bien choisi. Tout a été bousillé». La maman du prévenu est venue dire, en sanglots, «qu’elle se mettait à la place des familles, chaque jour. Mon fils aime trop la vie et les gens. Jamais il n’a connu de tendances suicidaires.»

Deux vies perdues. Et d’autres complètement détruites. Verdict demain en fin de matinée.

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