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Exportations horlogères

Une plongée historique

L’industrie de la montre a enregistré une très forte baisse en raison de la pandémie. A l’exception de la Chine, tous les marchés ont plongé. Le recul a concerné tous les segments de prix.

Les exportations ont reculé sur tous les marchés, sauf en Chine. photo-prétexte-archives

Par Philippe Oudot

Pour l’horlogerie suisse, 2020 restera sans doute comme l’une des pires de son histoire en raison de la crise du coronavirus. Alors que les exportations s’étaient élevées à 21,7milliards en 2019, elles n’ont atteint que 17milliards l’an dernier. Soit une baisse de 21,8%. Un recul comparable à celui de l’année 2009, consécutive à la crise financière qui a suivi celle des subprimes aux Etats-Unis.

Toutefois, souligne Jean-Daniel Pasche, président de la Fédération de l’industrie horlogère suisse (FH), les deux situations ne sont pas vraiment comparables. La crise de 2008-2009 a certes été très violente, mais «elle était de nature conjoncturelle et on a assez vite vu que la situation allait s’améliorer rapidement. L’année suivante, le niveau des exportations s’était déjà quasi rétabli. Par contre, en raison du confinement, la crise du Covid a conduit à la fermeture des magasins et boutiques dans le monde entier, ainsi que des entreprises de production, et elle a entraîné la quasi-impossibilité de voyager. De plus, la situation actuelle reste marquée par de nombreuses incertitudes liées à l’évolution de la pandémie, si bien qu’un retour à la normale est très difficile à prévoir.»

Deuxième trimestre catastrophique
La chute a été particulièrement violente au 2e trimestre, avec un effondrement des exportations de 61,6% par rapport à avril-juin 2019. Mais depuis l’été, la tendance s’est progressivement redressée tout en restant encore dans le rouge. Notamment en raison des nouvelles fermetures imposées par les autorités de différents pays en fin d’année pour contenir la 2evague. En particulier en Europe. Or, rappelle Jean-Daniel Pasche, novembre et décembre sont généralement de bons mois en termes d’exportations.

Par ailleurs, souligne-t-il, la quasi-impossibilité de voyager a aussi lourdement pesé dans le recul des ventes horlogères. D’une part dans les duty free des aéroports, et d’autre part dans les sites touristiques. AInterlaken ou Lucerne, par exemple, les boutiques horlogères ont vu leurs chiffres d’affaires s’effondrer en raison de l’absence de touristes étrangers, asiatiques en particulier.

L’exception chinoise
Dans ce contexte de désolation, l’Empire du Milieu fait figure d’exception. «La relative amélioration des exportations est due presque exclusivement à la Chine. Au 2e semestre, les exportations y ont progressé de plus de 50%», observe Jean-Daniel Pasche, notamment en raison du rapatriement des achats effectués jusqu’alors à l’étranger.

Empêchés de voyager à l’étranger, les Chinois se sont rabattus sur le commerce local. Une tendance renforcée par la volonté du Gouvernement chinois de favoriser le marché intérieur. «Les autorités ont commencé par baisser le taux de la TVA, puis ont ouvert des zones duty free destinées aux consommateurs chinois, comme sur l’île de Hainan.» Une évolution qui, forcément, s’est faite au détriment d’autres marchés. Acommencer par Hong Kong, où les exportations ont plongé de presque 37%. Longtemps premier marché horloger, l’ex-colonie britannique poursuit sa plongée, accentuée par la crise politique et l’impact du Covid.

Un tiers de moins
Si les exportations ont reculé de 21,8%en valeur, c’est encore bien pire en termes de volumes. En 2020, la Suisse n’a expédié que 13,8mios de montres à l’étranger, contre 20,7mios en 2019, ce qui correspond à une baisse de 33,3%. La chute est d’autant plus fâcheuse que 2019 avait déjà été une année très faible en termes d’exportations. Si le recul a touché tous les segments de prix et toutes les matières, il a été particulièrement marqué pour l’entrée et le milieu de gamme, Une tendance observée depuis quelques années déjà, mais qui s’est accentuée. Une situation inquiétante, «car il est important que l’horlogerie suisse soit présente dans tous les segments de prix avec un volume suffisant. L’entrée et le milieu de gamme sont en effet aussi importants en termes d’emplois» note le président de la FH.

L’e-commerce cartonne
Face à la crise, les horlogers ne sont bien sûr pas restés les bras croisés. Le commerce en ligne, voie dans laquelle s’étaient déjà engagées nombre de marques, a connu une très forte accélération. «Par la force des choses puisque c’était devenu une des dernières manières de vendre des montres», note le président de la FH. Une tendance qui devrait perdurer, car elle répond à une demande des consommateurs, tous produits confondus. Mais cette évolution ne risque-t-elle pas de condamner la vente en magasins traditionnels? «Non, estime Jean-Daniel Pasche, je ne vois pas le commerce en ligne remplacer les boutiques. Les deux modes de commercialisation se complètent. Mais cela n’en constitue pas moins un challenge pour les marques, en termes de coûts, mais aussi de service après vente (SAV).»

Un bon SAV est en effet une des conditions qui fait le succès des marques, qui doivent garantir au consommateur qu’il pourra faire réparer sa montre ou la donner pour une révision ou un service. Car un garde-temps est un produit durable, qui fonctionne 7 jours sur 7, 24heures sur 24, mais qu’il faut entretenir, rappelle-t-il.

Nouveaux marchés
Si, en cette période, la Chine constitue une sorte d’eldorado pour les horlogers, Jean-Daniel Pasche insiste sur l’importance de développer des accords de libre-échange avec les gros marchés émergents de demain, à commencer par l’Inde et le Brésil, où les horlogers peinent à exporter en raison des lourdes taxes, des procédures complexes et des difficultés à protéger la propriété intellectuelle.

Atitre d’exemple, il compare les exportations horlogères entre le Mexique (126mios d’habitants) et le Brésil (210mios). «Eh bien, grâce à l’accord de libre-échange avec le Mexique, les exportations de montres y sont six fois supérieures à celles au Brésil. D’où la nécessité de tels accords.».

Dans ce contexte, il souligne l’importance de la votation du 8mars prochain concernant l’accord de libre-échange avec l’Indonésie, accord que la FHsoutient avec force.

Reprise timide
S’agissant des perspectives d’avenir, Jean-Daniel Pasche estime que le redressement amorcé dès le troisième trimestre devrait se poursuivre. Notamment grâce aux moyens déployés par les marques pour s’adapter à la situation et l’attrait qu’ont toujours les montres suisses. «La reprise attendue probablement dès le deuxième trimestre 2021 devrait conduire à une croissance soutenue sur l’ensemble de l’année. Cette progression ne compensera toutefois pas la perte affichée en 2020 et il est encore difficile de prévoir quand la branche retrouvera son niveau d’avant crise.»

 

Quelques chiffres

Exportations horlogères suisses par marchés en 2020. Les montants sont indiqués en millions de francs.

– 1)Chine  Chiffre d’affaires de 2394mios (+20%), soit 14,1%de part de marché.
– 2) Etats-Unis Chiffre d’affaires de 1987mios (-17,5%), part de 11,7%.
– 3) Hong Kong Chiffre d’affaires de 1697mios (-36,9%), part de 10%.
– 4) Japon Chiffre d’affaires de 1190mios (-26,1%), part de 7%.
– 5) Royaume-Uni  Chiffre d’affaires de 1030mios (-24,6%), part de 6,1%.
– 6) Singapour  Chiffre d’affaires de 934mios (-26,4%), part de 5,5%.

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