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Montagne de Granges

Compromis helvétique

Le Tribunal fédéral a partiellement admis le recours déposé par deux associations de protection des oiseaux contre le parc éolien prévu sur ce site. Sur les six machines prévues, seules quatre ont obtenu l’aval des juges.

Seules quatre des six machines prévues pourront être érigées. archives Keystone

Lausanne, Philippe Oudot

Ni blanc, ni noir, bien au contraire. C’est ainsi qu’on pourrait qualifier le verdict du Tribunal fédéral (TF) à propos du projet éolien de la Montagne de Granges. Celui-ci prévoit la construction de six aérogénérateurs (voir ci-contre «Le parc en bref»).

Hier, les cinq juges ont longuement délibéré – plus de trois heures et demie – sur le recours déposé par Birdlife Suisse et l’Association pour la protection des oiseaux du canton de Soleure. Les deux organisations contestaient la décision du Tribunal administratif soleurois, qui avait validé le feu vert accordé par le Conseil d’Etat à ce projet, avec les accès et défrichements nécessaires. Elles estimaient que ce parc aurait un impact intolérable sur la faune avicole, ainsi que sur les populations de chauve-souris et exigeaient l’annulation de la décision du Conseil d’Etat.

De leur côté, les autorités soleuroises demandaient au TF de rejeter le recours. Une position également défendue par la ville de Granges, les Services industriels de Granges, promoteurs du parc, ainsi que le Tribunal administratif soleurois. Dans sa prise de position, l’Office fédéral de l’environnement contestait lui aussi le bien-fondé du recours, estimant que le projet était conforme aux dispositions fédérales en matière du droit de l’environnement.

Intérêts divergents
Dans leurs délibérations, les cinq juges ont souligné que la question des parcs éoliens était éminemment complexe, les intérêts étant fort divergents entre ceux de la protection de l’environnement et de la biodiversité, et les impératifs liés à la production électrique dans le cadre de la Stratégie énergétique 2050. D’autant que la pénurie de courant menace. Comme l’a relevé le juge rapporteur, la Montagne de Granges abrite une avifaune importante, dont deux espèces vulnérables;l’alouette lulu et le faucon pèlerin, dont un couple niche à proximité du site. Or, ce rapace est strictement protégé et figure sur la liste rouge des espèces menacées.

Qui plus est, la Montagne de Granges est aussi une zone de passage d’oiseaux migrateurs et on y trouve également une importante population de chauves-souris. En fait, ont relevé les juges, seul un abandon du projet permettrait une protection complète des deux espèces particulièrement fragiles, mais cela compromettrait le développement de l’énergie éolienne.

Deux machines à la trappe
Pour arrêter leur décision, les juges se sont notamment appuyés sur l’expertise de la Station ornithologique de Sempach. Celle-ci relève qu’en période de nidification et de nourrissage des oisillons, les faucons pèlerins chassent dans un rayon d’un à trois kilomètres. Or, les deux éoliennes situées le plus à l’est se trouvent à quelques centaines de mètres du nid, les autres se situant à plus de 1000mètres, distance minimale admissible pour la Station ornithologique. D’où la proposition de supprimer ces deux machines. Certes, a admis un des juges, «la protection de ce couple de faucons pèlerins est importante, mais il s’agit d’un degré de priorité régionale, alors que la Stratégie énergétique 2050, elle, est une priorité nationale. On pourrait aussi envisager de déplacer le nid de ce couple plus à l’est», a-t-il poursuivi.

Il n’a toutefois pas réussi à convaincre tous ses collègues. Par trois voix contre deux, ils ont tranché pour la solution de compromis:seuls quatre aérogénérateurs pourront donc être érigés, mais ils devront être pourvus des différents équipements techniques, notamment des radars permettant leur mise à l’arrêt lors de fortes concentrations d’oiseaux ou de chauves-souris. Il faudra aussi prendre des mesures de compensation en faveur de l’alouette lulu et assurer un monitoring sur l’impact de ces machines sur la faune.

 

Pas encore le bout du tunnel

Comme le relève Per Just, directeur des Services industriels de Granges (SWG), la décision du TF devrait certes permettre au promoteur d’aller de l’avant, plus de 14 ans après le lancement du projet. Mais SWG n’est pas encore au bout de ses peines. En effet, contrairement à la procédure bernoise où le plan de quartier a valeur de permis de construire, les deux étapes sont indépendantes dans le canton de Soleure. «La décision du TF d’hier concerne les oppositions au plan de quartier. Mais la demande de permis de construire fait également l’objet de recours de plusieurs associations auprès du Tribunal administratif cantonal», explique-t-il. Le dossier reste donc bloqué.

Il estime qu’après la décision du TF, l’instance cantonale devrait se prononcer rapidement. Pas question toutefois de se réjouir trop vite, car s’ils devaient être déboutés, les opposants auraient encore la possibilité de saisir à nouveau le TF. Directrice adjointe de Birdlife, Christa Glauser indique que l’association va d’abord étudier les considérants du TF, puis ceux du Tribunal administratif soleurois, avant de se prononcer sur un éventuel recours.

Et s’il n’y en a pas? «Nous allons revoir le projet et examiner s’il reste rentable avec quatre machines au lieu de six», indique François Scheidegger, maire de Granges. Il se dit déçu de la décision de compromis des juges, qui n’ont pas vraiment osé trancher et n’ont pas pris en compte les conséquences globales de leur décision. «Ce verdict me donne l’impression d’une loterie, avec un verdict prononcé à trois voix contre deux. Je regrette qu’ils n’aient pas soutenu la proposition d’un des juges de déplacer le nid de ce couple de faucons pèlerins. Ils ont choisi de privilégier un intérêt écologique régional au détriment de l’intérêt national que constitue l’approvisionnement électrique.»

 

Synergies potentielles entre Granges et deux projets voisins

La décision du Tribunal fédéral d’hier revêt aussi un intérêt pour deux projets en stand-by dans le Jura bernois.

Court
Le 12 mars 2019, les citoyens avaient certes nettement refusé le projet du parc éolien de Montoz Pré-Richard, voisin de celui de la Montagne de Granges. Mais il n’a pas été supprimé du plan directeur éolien du Jura bernois. Comme l’indique le maire Jean-Luc Niederhauser, «cela signifie que si le parc de Granges se construit, il n’est pas impossible que nos concitoyens changent d’avis. Plutôt que de subir les dommages collatéraux liés à ces machines, autant avoir aussi notre propre parc et les recettes qu’il génère…»

Dans ce contexte, il rappelle que si le projet Montoz Pré-Richard est totalement indépendant de celui côté soleurois, les promoteurs avaient pensé à se coordonner afin de profiter de synergies. D’abord au niveau des transports, puisque la route d’accès de la Montagne de Granges pourrait aussi être utilisée pour acheminer les éléments des éoliennes courtisanes. Ensuite, le parc pourrait aussi injecter le courant produit à la sous-station d’Untergrenchenberg, qui doit être construite.

Du côté d’Energie Service Bienne (ESB), promoteur de ce parc, son directeur Heinz Binggeli indique que depuis la décision de l’Assemblée communale, «le projet est en stand-by. Mais si, d’aventure, les citoyens de Court devaient changer d’avis, nous sommes toujours intéressés à réaliser ce projet. Le cas échéant, cela prendrait toutefois quelques années, car même si les travaux préparatoires pourraient en partie être réutilisés, d’autres seraient sans doute encore nécessaires.»

Romont
A Romont, on suit aussi avec intérêt l’évolution du dossier soleurois. Dans le plan directeur éolien du Jura bernois, le projet de parc éolien de la Montagne de Romont se trouve au stade de «coordination en cours». Avec la décision du TF, il va pouvoir passer au stade supérieur «coordination réglée», ce qui permettra de relancer ce projet.

Pierre-Emmanuel Guérin est chef de projet chez Ennova. Ce bureau d’ingénieurs, qui appartient aux Services industriels de Genève, est le promoteur du projet de la Montagne de Romont. «Plusieurs études ont déjà été réalisées, mais d’autres sont encore nécessaires, notamment l’étude de faisabilité, pour pouvoir déposer le plan de quartier ayant valeur de permis de construire. Ce sera probablement à l’horizon fin 2023. Cela va notamment se faire en collaboration avec un groupe de travail qui intègre des ONG environnementales.»

Sur ce site – un des plus prometteurs du Jura bernois en termes de régime des vents – également proche de la Montagne de Granges, il est prévu d’ériger quatre à six aérogénérateurs au maximum. Leur emplacement et leur hauteur devront être déterminés par les études de terrain et spécifiées dans le futur plan de quartier. Comme le souligne Pierre-Emmanuel Guérin, «l’objectif est d’éviter autant que possible les nuisances, ou au moins de les limiter et, lorsque ce n’est pas possible, de proposer des mesures de compensations». Il indique que des discussions ont déjà eu lieu avec les responsables du projet de la Montagne de Granges afin de tirer profit des synergies possibles, notamment pour l’injection du courant.

 

Le parc en bref

Le projet est conduit par le promoteur Städtische Werke Grenchen (SWG). Le plan de quartier prévoit la construction de six éoliennes qui devraient produire 30gigawatt-heures (GWh) par an. De quoi couvrir deux tiers des besoins en électricité de la ville de Granges. Avec quatre machines, ce ne sera plus que 40%. La hauteur au moyeu est de 88,5m, pour une hauteur maximale de 160m, et une longueur de pales de 61 m.

Dès le départ, le projet avait été contesté par plusieurs ONG environ-nementales et de protection du paysage, ainsi que par des privés. Après avoir passé par toutes les voies de recours, le TF avait déjà écarté deux autres oppositions formulées par un individu et l’association Pro Grenchen. C’était le 20 avril 2018. Pro Grenchen avait justifié sa démarche en avançant des risques de contamination de l’eau potable, l’émission d’infrasons et un impact visuel inacceptable.

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